Presque unanimement, L'Empire Contre-Attaque sera désigné non sans raison, comme le meilleur film Star Wars, y compris par ceux qui ne sont pas amoureux de la saga. George Lucas, qui a abandonné la réalisation du cinquième opus, s'était déjà attardé sur le scénario dès 1977 co-écrit avec Lawrence Kasdan. Pour autant, ce scénario fut soumis aux propres idées du créateur de la saga ainsi qu'au réalisateur de L'Empire Contre-Attaque et ancien professeur de George Lucas, Irvin Kershner (la première ébauche de la défunte Leigh Brackett ne convenait pas, bien que la scénariste fut créditée au générique). Pour le dire autrement, ce deuxième épisode de la saga – dans l'ordre chronologique de sortie - est l'oeuvre de trois hommes, de trois scénaristes aux idées contrastées, ce qui a permis le développement de thèmes relativement plus matures et plus adultes que pour Un Nouvel Espoir. Ici, la mort côtoie l'amour dans un jeu d'équilibre plutôt fascinant et déroutant. Le script était donc plus sombre et John Williams devait par conséquent s'adapter à cette atmosphère quasiment absente du précédent épisode. Concernant le compositeur, il faut savoir qu'il n'écrit pas ses bandes originales à partir du scénario qu'il ne lit presque jamais mais bel et bien à partir des images d'un montage pratiquement abouti. Dès lors, nous ne nous tromperions pas en disant que le maître Williams est celui qui ajouta la touche finale au texte de Star Wars, lui accordant une profondeur musicale inimaginable. L'impossible fut déjà réalisé pour Un Nouvel Espoir, lorsque John Williams rivalisa avec de grands noms de la musique classique tels que Ravel et Tchaïkovsky pour ne citer qu'eux. Comment le compositeur pouvait-il aller encore plus loin ? Comment allait-il parvenir, par delà les thèmes légendaires, à créer de nouveaux horizons symphoniques et orchestraux pour cette mythique et mystique saga ? Non seulement John Williams relève haut la main ce défi, mais il affine également sa musique, à tel point que l'écriture de L'Empire Contre-Attaque parcourt l'ensemble de sa carrière après 1980. Autant la sagesse du maître Yoda que la puissance du Côté Obscur pénètrent l'orchestre de ce deuxième volet de la symphonie Star Wars, et l'on comprend que la musique de L'Empire Contre-Attaque, à l'image de l'Imperial March, se démarque par sa complexité émotionnelle, au-delà de cette soi-disante facilité.



La bataille dans la glace :



https://www.youtube.com/watch?v=wIFLnEehNTE
Dans la critique consacrée à Un Nouvel Espoir, j'avais énoncé le fait que tous les films Star Wars débutaient par le Main Title, d'abord accordé à Luke Skywalker puis à l'ensemble de l'épopée cinématographique. Loin d'être totalement faux, il faut néanmoins nuancer ces propos : si tous les films Star Wars commencent par le rugissement de la célèbre fanfare, tous ne le font pas de la même façon. En effet, il apparaît normal que le premier Main Title (celui entendu dans Un Nouvel Espoir) soit plus amplifié que tous les autres. Ce dernier était d'autant plus remarquable qu'il unissait réellement tous les instruments de l'orchestre en parfaite symbiose. Avec l'Empire Contre-Attaque, la musique de John Williams accentue sa schizophrénie et oscille à chaque mesure entre la douceur des solistes et l'énergie harmonique. Le compositeur poursuit ce qu'il avait entrepris à la fin du film de George Lucas, en instaurant une extrême rigueur rythmique, synonyme de véritable marche militaire. Ainsi, ce Main Title qui ouvre le second volet de la trilogie, devient plus brutal voire plus bestial dans le jeu des trompettes notamment. Ces dernières ne sont d'ailleurs pas accordées de la même manière que pour Un Nouvel Espoir, elles dominent encore plus le paysage musical de ce nouvel opus. Outre les trompettes perçantes, la musique se fait aussi plus violente dans ses percussions. La rondeur des timbales en ressort amoindrie, à l'inverse des cymbales qui s'imposent dès l'ouverture du film : on l'entend distinctement à la reprise du thème principal à la cinquantième seconde de la chanson. En revanche, la partie consacrée aux cordes semble renforcée dans son lyrisme romantique. En ayant dit tout cela, il suffirait de l'appliquer à l'ensemble de la partition car elle fonctionne clairement sur cette dichotomie (non-manichéenne), à savoir le lyrisme des cordes et la rigueur farouche des cuivres. Ensuite, la deuxième partie de cette ouverture se nomme The Ice Planet Hoth, titre on ne peut plus explicite. L'étrange son du piccolo dans le premier épisode a laissé place à l'inquiétude d'une flûte face à une grande menace. Il ne faudra pas attendre longtemps avant d'entendre le tintement de la marche impériale dans le corps d'un piccolo, bientôt rejoint par des cuivres impériaux, qui ne servent que de soutien à l'inaudible maléfique. La musique est complètement déstructurée, y compris lorsque le timide thème de Luke resurgit dans cette pénombre. De nouvelles structures apparaissent avec des ostinati de cordes, les cuivres suivant de ce pas la danse des violons. D'autre part, ce Main Title suivi de The Ice Planet Hoth demeure une belle introduction à la totalité de la pièce symphonique : la marche impériale a notamment fait son entrée, mais il en va de même du grand thème d'amour de cette trilogie, c'est-à-dire celui de Han Solo et de la princesse Leia. Le thème proposé dans ce morceau ne revêtit pas sa forme complète mais l'envergure romanesque de celui-ci n'en figure pas moins grande. Pour finir, la piste se termine par la légèreté d'un solo de flûte – Williams accordant une place prédominante aux formidables solistes et plus particulièrement aux bois – suivi d'un retour au thème principal de la saga, étrangement mélancolique.


Il ne faut pour autant pas confondre dissonance et destructuration de l'orchestre. Pour The Wampa's Lair/Vision of Obi-Wan/Snowspeeders Take Flight, il est question des deux notamment au début du morceau et pour la partie qui se déroule dans la grotte du wampa. Ici, Williams n'invente absolument rien pour personnifier la tension et l'angoisse dans sa musique : on est d'abord face à une dissonance mais l'enchaînement reste cependant structuré. Le thème de la Force puis celui de Luke viennent apporter une certaine couleur vocale à la pièce alors que le reste de l'orchestre, surtout les cordes, s'est justement déstructuré. En même temps, ce second morceau nous prouve que John Williams a gagné en souplesse dans ces liaisons entre les différents motifs, mouvements … etc, mais également entre les différents instruments dont les dialogues sont beaucoup plus cohérents et moins hachés. En revanche, la partition en ressort moins colorée et on l'observe lorsque le thème de la Force retentit : celui-ci devient quasiment désenchanté, non-dépourvu de toute âme mais cette dernière est comme absorbée par l'obscurité triomphante. Malgré un retour au lyrisme des violons à la fin du morceau, le tout demeure sombre et peu prompt à la gaieté juvénile de nos héros qui disparaît au fil de l'aventure. Ces mêmes thématiques et sonorités se dégagent de l'introduction de The Battle of Hoth (Ion Cannon/Imperial Walkers/the AT-AT/Escape in the Millennium Falcon). Ainsi, la mélancolie a conquis le cœur de cette odyssée, transformée en ode tragique autour de la famille Skywalker, la musique anticipant les futures révélations. Après quoi, la marche impériale résonne de plein fouet et est usée sous toutes ses formes, le tempo étant par moment accéléré par rapport au morceau d'origine, et d'autres fois le thème change de tonalité. Pourtant, The Battle of Hoth est un véritable ballet orchestral, regorgeant d'une inventivité folle et d'une virtuosité sans égale. La noirceur du morceau est annoncée par quelques notes au piano à hauteur basse si ce n'est très basse, on croirait réentendre le motif de Jaws. Authentique hommage à La Mer de Debussy, The Battle of Hoth dispose d'un travail orchestral abouti, pour ne pas dire l'un des plus impressionnants de la saga. Le compositeur introduit un effet musical maintes et maintes fois repris par la suite : flûtes et vibraphones s'accouplent pour former une même percussion plus douce que les cymbales ou les caisses claires par exemple. Ces dernières ne sont pour autant pas absentes du morceau puisqu'elles ajoutent de la rigueur rythmique tandis que le piano détruit l'équilibre harmonique de sorte que de nombreuses syncopes se distinguent du morceau, tout comme de nombreux décalages toniques. Sur le registre, le Mal a tout de même réussi à pervertir un thème aussi lumineux que celui de la Force, et aussi brillant que celui de Luke. Seul le thème de l'amour naissant entre Leia et Han parvient à se mesurer à l'audace de la marche impériale.



L'impérialisme du Côté Obscur :



https://www.youtube.com/watch?v=IfaflnrOkMU
Parce que parler de L'Empire Contre-Attaque, c'est principalement s'attaquer au morceau le plus iconique de la trilogie de départ ; pas nécessairement le plus beau mais en tous les cas, le thème le plus riche dans sa structure, dans ce qu'elle évoque ainsi que dans sa complexité thématique et orchestrale. L'Imperial March ne réussit pas du fait de son apparente simplicité mélodique, il fonctionne en raison de sa transcendance musicale, presque jamais entendue auparavant. Le thème, aussi riche soit-il, demeure pourtant facile à déficeler : il n'est composé que de deux structures sur un ensemble de deux motifs, fonctionnant sur un mode binaire totalement maîtrisé et assumé. Autrement dit, le thème se compose d'une mélodie repris par les trompettes ou autres instruments cuivrés tandis que les cordes l'accompagnent de manière géométrique. Si la musique est plus du ressort des mathématiques que d'autre chose, l'Imperial March en est le pur exemple. De plus, ce n'est pas cette mélodie qui intéresse le plus, mais l'organisation de l'orchestre autour de cette même mélodie, qui, par ailleurs, évoque bien plus la Marche Funèbre de Chopin que quelconque marche militaire – sa dimension étant avant tout dramatique. La mélodie, tout comme celle que l'on entend dans l'oeuvre de Chopin, vacille bien plus que ce qui l'accompagne : elle dispose d'un fort soutien des cordes. Le deuxième motif n'en reste pas moins plus timide, d'abord joué par une flûte apeurée et tremblante puis des violons plus vifs. En fait, revenir sur ce thème, c'est également nier l'argument selon lequel ce morceau serait évocateur du Mal absolu (bien plus présent dans Duel of the Fates), tout comme lord Vador le serait en tant que personnage. Ces propos, loin d'être faux, ne rendent compte que d'une seule caractéristique du morceau, parmi de nombreuses autres.


En effet, à l'écoute de The Imperial Probe/Aboard The Executor, cet argument ressort grandement. Il y a un duel des cuivres, entre ceux qui jouent la mélodie, et ceux qui l'accompagnent. Finalement, dans un commun accord, les trompettes se mettent à reprendre la mélodie conjointement, sans que la musique échappe en subtilité. Pour The Asteroid Field, la même assurance des trompettes est notable mais une sorte de noblesse grandiloquente, du fait d'une orchestration plus harmonieuse, se libère de l'oppression des cuivres. La musique prend des élans d'instrumentation orientale, notamment égyptienne, au milieu de ces multiples glissato de flûtes. John Williams retrouve ses influences herrmanniennes dans le jeu de ses violons, créant des décalages plutôt conséquents entre les hauteurs. Encore une fois, l'équilibre est rétabli, non pas grâce à la Force, mais grâce à l'amour représenté par le thème de Han et de Leia. La même peur saisit les cordes et les bois dans le morceau Attacking A Star Destroyer. Pour finir sur l'utilisation de ce thème dans cet épisode, un autre morceau y fait mention : Deal With The Dark Lord. Ce n'est donc qu'à la fin de L'Empire Contre-Attaque, que la dimension tragique de ce thème émerge pleinement. Outre, la présence du thème amoureux de la trilogie qui sert de contre-poids à la marche impériale une fois de plus, son jeu se différencie des autres pistes de l'album par son étrange timidité, limite craintive des autres puissances qui la combattent. D'autre part, cela nous permet de revenir sur les aspects multiples de ce thème, autre que sa perversion maléfique (qui n'existe pas). Bien que ce thème soit associé plus généralement à l'Empire dans son ensemble, l'ombre de Vador parcourt la mélodie sur bien des aspects : elle exprime sa grandeur dans une assurance certaine mais on y décèle également une part de fragilité, les bases pouvant se briser à chaque moment sous le poids d'un thème aussi musclé.



Le pouvoir d'un Jedi :



https://www.youtube.com/watch?v=9lMJ06GXdeU
Malgré tout, il ne faudrait surtout pas réduire la musique de L'Empire Contre-Attaque au seul thème de Vador. John Williams avait en effet l'intention de produire une musique encore plus riche et fascinante tout en développant des thématiques très opposées mélodiquement. Ainsi, l'autre grand moment musical de cet opus se situe sur Dagobah, planète boueuse et crasseuse. Pour autant, le passage entre le machiavélisme de Vador et l'étrangeté du refuge de Yoda s'avère compliqué pour notre compositeur, comme si la puissance de l'Imperial March inondait tout le récit orchestral. C'est pourquoi, d'ailleurs, Arrival on Dagobah demeure dans la suite logique des précédents morceaux évoqués ; la marche impériale a imbibé cette piste alors que l'on se trouve à des années lumières du seigneur Sith. Ceci dit, lorsque celle-ci n'est pas jouée, nous sommes loin de la structure mathématique de la marche impériale. Le morceau se veut tantôt étrange, tantôt enjoué mais on sombre vite dans la frayeur et la folie herrmannienne. Dans cette impénétrable brume puante, le léger thème de Luke ne parvient pas à éclairer le fils Skywalker. Joué que sur la première mesure, il s'éteint au milieu de ce morceau très particulier, au rythme étrange et à la dissonance flagrante. A l'inverse, Luke's Nocturnal Visitor est plus efficace mélodiquement. Luke n'ayant toujours pas découvert la véritable nature du maître Yoda – tout comme la réelle identité de Vador – les thèmes n'empruntent pas leur nuance habituelle. A vrai dire, le staccato des cordes accompagné d'une flûte vivace et joviale annonce le thème de Yoda avec pudeur. Par moments, le chant du cor vient interrompre ce mensonge et confirme la sagesse du Jedi. Une magnifique et douce noblesse s'empare de l'âme du morceau mais on se trouve encore loin du thème original car incomplet. Puis la fin de la piste retourne dans cette moquerie des cordes, en attendant que la vérité éclate au grand jour.


Cette vérité, elle est notamment perceptible dans Jedi Master Revealed/Mynock Cave. Oh qu'il était temps de retrouver avec enthousiasme le sublime thème de la Force ! Pourtant, celui-ci a perdu tout espoir, et de sa pureté funèbre se dégage une forte tragédie mélodique. Il est d'ailleurs soutenu par le thème de Luke qui, lui aussi, s'épuise au fil de cette odyssée galactique. Devant tant de fatigue, le thème de Yoda resurgit, apportant sérénité et force, soutenu par des liaisons à la harpe. Nous voilà de retour dans le romantisme élégiaque avant qu'une fois encore, la marche impériale ne triomphe. La deuxième partie du morceau, à savoir Mynock Cave, démontre que John Williams peut tout à fait écrire une musique de suspens comme il l'avait fait pour Jaws. Il utilise encore des procédés instrumentaux qui lui sont chers : des envolées rapides à la flûte, des remontées de hauteurs au piano ou bien une totale déstructuration tonique, créant ainsi l'angoisse. Les violons se sont éteints et les violoncelles prennent le relais dans un ostinato facile. Le rythme s'accélère tandis que la phrase des cuivres est reprise par les flûtes puis les trombones perçantes. En réalité, le motif des cuivres qui donne une sensation de vertige semble être une variante de la marche impériale bien moins solide : John Williams a tout simplement découpé son tempo en deux et a inversé la croche pointée/double-croche en double-croche/croche, ce qui a pour objectif de faire différer le rythme. Si Mynock Cave fait preuve de modernisme, le début de The Training Of A Jedi Knight/The Magic Tree a plus les allures de certains mouvements de Casse-Noisette de Tchaïkovsky. L'introduction de ce morceau emprunte le modèle enchanté de Williams et les quelques secondes descendantes en pizzicato magnifient le thème de Yoda au cor qui reste encore quasi-éteint. Cependant, même schéma que pour les précédentes chansons, la marche impériale amène la dissonance et le décalage mélodique de ce thème pourtant si joli. Mais, alors que le mal semble pervertir tout ce qui l'entoure, le thème de la Force joué par une flûte douce et minutieuse écarte pour un court instant ces moments de doute et de peur qui étouffent le jeune Skywalker dans cette vase répugnante. The Magic Tree, à l'inverse, paraît bien plus segmenté entre des violons stridents, des cuivres perçants, et même un synthé en guise d'alarme comme pour prévenir Luke d'une future et terrible découverte.


Si la Force n'aura su contenir le pouvoir du Côté Obscur, John Williams en appelle à la raison du plus grand maître Jedi de la galaxie. Ainsi, le compositeur admet avoir écrit ce thème dans une pure simplicité romantique, laquelle libère en elle une autre puissance loin de la structure martiale de la marche impériale. Tout comme le personnage de Yoda, John Williams contrôle la force émotionnelle de son écriture musicale, empreint à la fois de mélancolie mais aussi d'un très grand pouvoir appelé « sagesse ». Dans une composition où seule la rigueur militaire semblait régner, il se trouve que Yoda's Theme s'avère être le parfait contre-poids face à cet affolement de la marche impériale partout dans la bande originale. Pour le décrire simplement, il est structuré de deux parties reflétant l'âme et le caractère du maître Jedi, dans sa splendeur mais aussi son aspect à la limite fantasque. D'autre part, Williams préfère commencer son texte musicale par le jeu du thème par les cordes, rompant dès lors avec la tradition romantique : Yoda a déjà acquis une grande assurance sans que jamais les violons n'exagère sa puissance incroyablement maîtrisée. A différentes hauteurs, ils chantent ce poème harmonieux et équilibré : il n'y a aucun effet de style mais l'unique résonance d'une mélodie sans flagrante nuance. En outre, alors que la flûte traversière s'était appropriée Yoda's Theme, et que quelques notes à la harpe semblaient conclure le morceau, John Williams le continue dans l'optique d'affirmer la sacralité, la divinité d'un être puissant mais à l'écart de la folie destructrice, dont la sagesse ne fait qu'éclairer les âmes qui la côtoient. La lumière éblouissante de ce thème se greffe au début bien sombre de Yoda & The Force. En effet, une fois de plus, le thème de Luke s'épuise jusqu'à ce que le thème de la Force, accompagné d'ornements à la harpe, ne jaillisse d'un splendide hautbois considéré, pour ma part, comme l'instrument le plus noble de l'orchestre classique dans sa tonalité musicale. Ensuite, un sublime mouvement est joué aux violons à hauteur très basse, témoignant de la gravité des événements. Étrangement, c'est la flûte traversière qui l'emploie dans un dialogue avec un trombone pour chaque mesure de la partition, avant que tout l'orchestre, à l'unisson ne chante et fasse résonner la majesté de ce thème. Pourtant, il ne s'agit pas de le dévoiler longuement à l'instar de la marche impériale, Yoda's Theme est simplement une démonstration d'humilité orchestrale.



Le temps des amours et des désillusions :



https://www.youtube.com/watch?v=n58DqG-2N30
Il reste encore à écrire sur cette inoubliable bande originale, comme si à chaque écoute, l'on pouvait y déceler encore les secrets d'un grand musicien. Désormais, il est question du thème d'amour par excellence de cette première trilogie, celui du vaurien Han Solo et la princesse Leia. Croire qu'il s'agirait d'un thème purement secondaire est une erreur : il est le direct adversaire de la si dominante marche impériale. Ni Luke, ni la Force, ni même Yoda ne peuvent rivaliser, en tous les cas dans la partition de John Williams, contre le thème de Vador et de ses innombrables troupes de stormtroopers. En tous les cas, le thème est introduit par Han Solo & The Princess et repris dans différents morceaux de L'Empire Contre-Attaque. Etant la suite immédiate de Princess Leia's Theme, il ne se présente qu'avec un seul mouvement pourtant iconique. Le cor et la flûte mélangent subtilement l'élégance de la princesse Leia et l’entêtement de Han Solo mais s'empresse à la fin du thème au travers d'un baiser volé. Dans Imperial Starfleet Deployed/City In The Cloud, il prend nettement plus d'assurance au cœur des violons déchirants. Incroyable morceau puisqu'il réunit tous les grands moments musicaux de cette bande originale : le thème chimérique, la marche impériale, le chant de la sagesse bien que timide et une légère apparition du thème de la Force. Pour caractériser la cité dans les nuages, John Williams imite une nouvelle fois les compositions orientales avec quelques silences, ornements et autres mélismes au sein d'un ostinato inquiétant de trompettes. Autre fait notable, c'est la première fois que le compositeur use des chœurs dans la première trilogie Star Wars – même si très présente dans la seconde. On ne peut que relever qu'ils eurent une certaine influence auprès de Danny Elfman tant ils s'en approchent.


Néanmoins, puisque nous sommes actuellement au milieu des nuages et donc dans les airs, les premières notes de Lando's Palace se font très aériennes. Même si la structure sonne parfois très mathématique, les envolées de l'orchestre sont nombreuses malgré un ostinato très répétitif et moins inspiré que les grands thèmes de ce douloureux chapitre. Plus que le dualisme entre l'amour et de le Mal, il s'agit ici d'un constant aller-retour entre le thème de la Force et la marche impériale, tous les deux affaiblis. Ce qu'il y a d'assez plaisant avec de tels enregistrements, c'est que l'on entend encore le bois des violons craquer et le souffle des instruments à vent. Afin de redonner de la vigueur à la Force qui s'éteint, le thème de Yoda réapparaît, d'abord dans un mode différent et donc déstructuré de sa forme originel, puis il joué dans sa tonalité effective. De fait, cela attribue bien plus de couleur et de charme à la Force, bientôt prête à affronter l'ennemi paternel. Y compris le thème de Luke semble renaître après tant d'absence dans Betrayal at Despin et c'est à l'inverse, le thème de Han Solo et de la princesse Leia qui se brise peu à peu. L'heure est à la trahison et aux désillusions. Bien que le thème de la cité dans les nuages berce une partie de ce morceau, l'organisation quasi-martiale de l'Empire rejoint et complète l'esprit malsain de cet affrontement entre l'Amour et la Haine. John Williams allonge d'ailleurs les dernières notes de la marche impériale qui conclut parfaitement ce morceau. Entre temps, un magnifique solo de hautbois, de quelques secondes seulement, décrit la solitude dans laquelle se trouve nos héros alors que Luke se hâte pour retrouver ses amis.


Pour conclure sur cette partie, il faudrait pouvoir tirer quelques mots sur Carbon Freeze/Darth Vador's Trap/Departure Of Boba Fett. Les longs morceaux ne manquent pas dans la bande originale de L'Empire Contre-Attaque or tous ont une grande valeur musicale. Attention, un long morceau peut s'avérer ennuyeux, répétitif, avec peu de nuances et de registres. Il demeure très compliqué de tenir en haleine l'auditeur et l'auditrice quand on étire au mieux sa partition. Pour revenir à ce morceau tout particulier, la première partie de celui-ci est dominée par le thème de Han Solo et de Leia excessivement renforcé puis dévoré par des cuivres qui marquent le tempo sous les cris de Chewbacca. Après quoi, cette première partie est rompue par des mesures de quatre notes aux timbales sur lesquelles glisse la marche impériale dont l'accompagnement s'est clairement fortifié auprès des cuivres plutôt que des cordes. En revanche, la troisième partie de ce morceau se consacre à différentes variantes du thème de Yoda bien qu'il ne soit pas directement présent lors du mythique combat de l'Empire Contre-Attaque. Effectivement, loin de son apparente humilité et sagesse, ce thème sait se montrer fort et solide en dépit d'un piano sinistre qui à lui seul, réussit à éclipser le reste de l'orchestre. La gaieté d'Un Nouvel Espoir a maintenant laissé place à l'extrême gravité orchestrale et symphonique de l'Empire Contre-Attaque. Un puissant ostinato de violoncelles plus tard repris dans The Rescue From Cloud City/Hyperspace entre en scène. A la fin, le thème d'amour tente de resurgir mais ici, les accompagnements de cuivres le recouvrent non sans difficulté. Comme pour The Battle Of Hoth, ce morceau, du fait de la présence d'un grand nombre d'instruments en plus de ceux déjà présents dans l'orchestre, apparaît très écrasent pour des thèmes plus lyriques – celui de la Force et de Yoda qui le terminent notamment.



Le choc des titans :



https://www.youtube.com/watch?v=g6RhlM3oxKY
Et si je vous disais que la marche impériale n'était absolument pas le plus grand morceau de cette bande originale, que ni les thèmes poétiques de Han Solo et de Leia ainsi que le sublime leitmotiv de Yoda ne suffisaient pas pour décrire la musique de L'Empire Contre-Attaque en tant qu'oeuvre exceptionnelle, unique et passionnelle. The Clash Of Lightsabers commence de la même manière que Yoda & The Force bizarrement … et puis tout bascule. Violent et agressif, sanguinaire et sanglant, affolant et foudroyant, le morceau se distingue parce que sans pareil. John Williams ne dévoile pas que son simple (mauvais terme) sens de l'écriture mais aussi ses talents hors-pair de chef d'orchestre, multipliant les nuances, les rythmes, les dialogues sans que jamais aucun instrument ne soit abîmé dans cette orgie orchestrale. Bien entendu, les premières notes de l'Imperial March ponctuent le début du morceau mais il s'en échappe très vite. En vérité, The Clash Of Lightsabers déploie toute la palette intensive du jeu des cuivres consolidés par différents instruments rythmiques : timbales, cymbales, vibraphones par exemple. Malgré tant de brutalité, le thème d'amour parvient à contester la soi-disant victoire du Côté Obscur sur les forces du Bien. Il a cette manière d’accélérer les mesures les plus intenses et alterne entre forte et fortissimo comme pour signifier la violence occupant cette bataille entre le Bien et le Mal qui sont à forces égales – la frontière étant bien mince entre les deux. Le morceau ne pouvait que se terminer dans un éclat de tout l'orchestre à l'unisson et il faut un certain temps pour le calmer après tant de frénésie.


De toute façon, je recommanderais principalement les trois dernières pistes de cette partition parce qu'elles montrent l'état dans lequel se trouvait le compositeur au moment de l'écriture : triste mais aussi en colère à cause d'un lourd deuil tout en ayant une folle envie d'espoir. De fait, cela caractérise surtout les derniers morceaux de l'album et tout particulièrement The Rescue From Cloud City/Hyperspace. La fatalité est tombé : Dark Vador est bel et bien le père du jeune Luke Skywalker mais à la différence des autres morceaux, la marche impériale se tait presque devant cette révélation. Cependant, l'apprenti Jedi se laisse tomber pour échapper à son père – symboliquement et puis physiquement. Ainsi John Williams, pour dépeindre cette chute, écrit plusieurs tourbillons de différents instruments dans un total flottement de l'orchestre. L'appel de la Force demeure encore présent mais celle-ci ne sera d'aucun secours pour Luke : elle est jouée tragiquement par des cordes, peut être de la plus belle des manières qu'elle fut jouée tout au long de la saga. Pour ce faire, le compositeur accentue ce bouleversement scénaristique en nuançant la note la plus haute d'un fortissimo, ce qui crée définitivement l'émotion. Pour finir, il établit une très belle suite d'ostinati de violons mais n'en oublie jamais la cité dans les nuages, incorporant ainsi plusieurs éléments orientaux comme il le fit auparavant. Dans la mouvance classique, la musique orientale est en effet loin des procédés symphoniques, et ici, il applique cette étrangeté de ces modes musicaux à chaque nouvelle découverte de planète. Finalement, la grandeur et la magnificence de cette œuvre ne saurait être clairement exprimée qu'avec The Rebel Fleet/End Titles qui reprend bien évidemment toutes les trames musicales de L'Empire Contre-Attaque : la Force revigorée transmet sa limpidité à l'ode romantique de cet épisode, c'est-à-dire le thème de Han Solo et de Leia qui l'emporte sur tout le reste. Ce dernier nous prouve l'amour qu'a John Williams pour la musique finement écrite mais avant tout gorgée de multiples émotions qui conquièrent fièrement nos cœurs. Le ruissellement des timbales achèvent finalement cette deuxième symphonie de l'épopée Star Wars qu'on aimerait éternelle.



Vers la fin de l'Odyssée galactique :



Sur les rives d'un océan d'étoiles, John Williams a su livrer l'une des plus belles, si ce n'est la plus belle, de ses partitions. Infiniment complexe et s'analysant à différents degrés, elle témoigne d'une grande délicatesse d'écriture et l'on aurait aucun mal à assimiler L'Empire Contre-Attaque – en tant que bande originale – à une œuvre classique aussi glorieuse que la musique savante de l'âge romantique. Tout simplement et sans prétention, elle révèle le travail prodigieux d'un génie à l'état de grâce dont la musique reflète l'âme humaine dans son intégralité : profondément amoureuse, mais débordant également de violence et de haine. Si aujourd'hui on peut réellement affirmer que John Williams, c'est avant tout L'Empire Contre-Attaque – et tout particulièrement l'Imperial March – on pourra désormais assurer que L'Empire Contre-Attaque, c'est avant tout John Williams dans son ensemble, à la fois humainement et musicalement.

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le 18 avr. 2016

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