Innervisions était fabuleux. Mais je m'attendais encore moins à Songs in the key of life.
Mieux, je repoussais le moment de m'y confronter, ayant peur d'y voir presqu'un best-of de Stevie, une synthèse, une compilation... Ce qu'il peut être un peu en effet d'un côté car il n'a pas la même homogénéïté qu'Innervisions, il a parfois tendance à s'éparpiller un peu. A d'autres moments on sent une baisse de régime, un petit départ laborieux. C'est qu'il faut le tenir ce marathon aussi, c'est bien compréhensible. Double vinyle avec un EP de 4 titres en plus en 1976 il faut dire (le tout regroupé de nos jours sur un double disque) ! Le surdoué aveugle avait prévenu, tant qu'il en avait encore sous la semelle, il continuait à composer pour le disque.


On commence le disque sans trop savoir où l'on met les pieds mais bon ça commence calmement et avec un peu d'humour sur Love's In Need Of Love Today. Stevie se fait prêcheur et évangéliste. La suite continue calmement, on ne se méfie pas trop encore que Village ghetto land adopte une attitude musique douce avec paroles dures qui contrastent sur la condition des noirs dans le ghetto. Attention il ne s'agit pas de refaire un Living in the city "bis" (grand titre issu de Innervisions) sur fond de "i've made all by myself" dans le sens où comme sur Music of my mind, Stevie joue ici tous les instruments (oui, oui, sur Music of my Mind, même aidé par le duo Margouleff & Cecil, Stevie jouait quasiment tous les synthés.... qui étaient en fait tout l'album. Enorme tour de force dans le sens où ça n'a pas pris une ride et l'on s'aperçoit pas trop au début que c'est du synthé, c'est dire. Quasiment à 98%. A part un peu de trombone sur la première piste et une guitare sur la seconde, le reste c'est du SUPER WONDER), en fait un seul et unique instrument, le synthé polyphonique Yamaha GX-1 capable de produire le son d'un orchestre. Coup de génie où j'y vois plus une sorte de rappel bienveillant dans son style malgré la colère qui gronde.


Quand débarque Contusion, la 4è piste du disque on se prend soudain du Frank Zappa en pleine gueule et on l'avait pas vue venir celle-là (ni volée non plus). Pas pour rien que Zappa est dans l'énorme longue liste de remerciements du double vinyle/cd au même titre que Carole King, Stephen Stills, Alice Coltrane, David Bowie et encore plein d'autres. On sent les inspirations et à l'écoute de l'oeuvre on comprend. Quant à Contusion, on jurerait que Frank était dans le studio à ce moment là. Perdu, c'est Mike Sembello pour un titre instrumental millimétré au poil près.


Et puis après, re-PAF. Sir Duke. Mon visage qui s'éclaire à l'écoute. Ah mais ouiiiiiiii. C'était donc bien de lui ? Bon sang j'entendais ça plus jeune à la radio, je me demandais qui ça pouvait être. Un classique qui ne prend pas une ride : je n'écoute plus trop la radio à part France Info et FIP mais ce n'est pas ce que FIP passerait en boucle, du coup j'ai l'impression de le redécouvrir d'un coup. Ce titre et celui qui suit, je m'en lasse pas. Jusqu'à la scie musicale et l'écoeurement. C'est dire comme ce disque m'avait manqué alors dans ma vie.


I wish. Re-re-paf. On tombe beaucoup de sa chaise ce soir. Un autre classique instantanée. Une autre tuerie culte. Ze morceau à te faire pâmer un Michael Jackson. La machine à groove en direct de Mars. Les 70's étaient la décennie de Stevie, les 80's seront partagées par les jeunes loups que sont Jackson et Prince mais là pour l'instant.... Ce qui me rappelle une anecdote liée aux Grammy Awards félicitant le fait que le disque sorte en 76 et non 75, soit deux ans après Fulfillingness' First Finale au lieu d'un. L'un des musiciens qui recevait la récompense en cette année 75 s'était amusé à remercier Stevie Wonder, arguant que c'était bien que pour une fois il fasse une pause et ne sorte rien vu qu'il avait chaque année raflé coup sur coup toutes les récompenses !


Faut dire aussi que chaque titre est un hit en puissance quel qu'il soit. Prenez Pastime Paradise, l'avant-avant dernière piste du premier disque. A l'écoute vous allez reconnaître quelque chose.... Voilà. Oui, oui, elle a été reprise. Par un certain Coolio qui en a fait son Gangsta Paradise en changeant pas trop le sample de base. Ben voilà la source originale vient de chez Stevie.
Avec tout ce qu'il avait sorti durant les années 70, le bonhomme a littéralement changé la face de la musique noire en plus de damer le pion à pas mal de musiciens, d'en dégoûter d'autres et de servir de machine fournisseuse de sample à mort pour les décennies à venir.


Summer soft ? Fabuleux. Et là aussi tube en puissance. Ordinary pain ? Same. Une chanson en tiroirs sur le cycle de l'amour et des ruptures dont le bonhomme a le secret. Là aussi un truc faussement apaisé qui conclut de fort belle manière le premier disque (la seconde face du premier vinyle).


Isn't she lovely en ouverture du second disque dégaine d'emblée l'artillerie lourde. De la tuerie pop en hommage à sa fille avec babillements et eau du bain enregistrés. Je me suis senti un peu chialer comme une madeleine en écoutant ça au casque il y a peu. Marrez-vous, tiens. Sur Black man, le funk revendicatif à message politique ressurgit avec choeurs d'enfants et d'enseignants. 8mn énergiques qui n'ont rien à envier à un Superstitions ailleurs.


Après un interlude latino au nom un peu imprononçable (Ngiculela) et un petit échauffement à la harpe (If it's magic) pas dégueu mais un peu trop calme histoire de souffler un peu, on termine (le vinyle du moins) avec les mastodontes As et Another Star (7 et 8mn). Le premier c'est très curieux (la faute à la radio que j'écoutais tout petit, la vilaine radio !) mais pendant longtemps j'en suis resté sur la version de ....Georges Michael et Mary J.Blige. On rigole pas là bas au fond. Et puis j'ai découvert la version Herbie Hancock chantée par Kimiko Kasai sur leur disque en commun, Butterfly, pas mal du tout. Et puis là, la version originale de Stevie, j'ai eu un peu de mal au début. Plus agressive dans le fond, moins lisse comme la bulle de savon que j'ai toujours connue. Mais je m'y suis fait là. Faut dire que mélodiquement c'est assez imparable. Another star replonge dans le rythme latino et hypnotise tout autant que sa voisine. Envoûte. C'est de la drogue ces trucs là. De la vitamine musicale pour se doper. C'est pas permis à ce stade. Et toujours ce sens du casting imparable, un Herbie Hancock par ci (sur "As" justement, tiens, tiens), un Bobbi Humphrey et George Benson par là ("Another star").


Et puis quand il n'y en a plus y'en a encore.


C'est probablement ce qu'à dû se dire le pianiste diabolique aux lunettes noires (non pas Ray Charles, vous me suivez ou quoi ?) avec un petit EP en plus de 4 titres rajouté au double vinyle. Et ce ne sont pas des pistes "bonus" basiques retirées parce qu'elles n'apportaient rien, non, non. Ce sont de vrais titres en plus qui se révèlent d'ailleurs au même niveau dantesque que tout le double disque/vinyle. Saturn et sa pop ultra candide et lyrique, la soul délicieuse de Ebony eyes, le funk-pop qui te met en forme dès le matin (encore un titre-dope ! J'appelle la police, trop de bonheur, arrêtez, c'est insupportable !) de All day sucker et enfin l'instrumental reposant Easy Goin' Evening (My Mama's Call) pour finir tout ça. Ouf. Reposant c'est bien le mot, juste un peu de synthé et de l'harmonica. Une zik en fond pendant qu'on passe un coup de fil à sa vieille maman comme dirait Stevie.


Au final un grand disque, probablement trop grand pour l'auditeur d'aujourd'hui qui pourra se lasser un peu. Il faut dire qu'il faut se remettre dans le contexte aussi. L'album est publié en double vinyle, or un vinyle quand on change la face, l'on est pas obligé d'enchaîner directement avec l'autre ou le disque d'après, on peut même faire une petite pause, remettre le couvercle sur le sillon qui tourne encore, aller faire pipi ou se chercher un grand verre de Schweppes Agrum avec un petit Kinder pingui (l'été arrive les amis).
Puis reprendre le disque.
Repartir faire un tour sur la piste.


A part quelques foulures aux pattes et des bleus aux mains à force de danser sur place on ne risque qu'un grand sourire et du baume au coeur.

Créée

le 19 juin 2018

Critique lue 1.8K fois

25 j'aime

31 commentaires

Nio_Lynes

Écrit par

Critique lue 1.8K fois

25
31

D'autres avis sur Songs in the Key of Life

Songs in the Key of Life
Nio_Lynes
10

Differents moods for differents songs.

Innervisions était fabuleux. Mais je m'attendais encore moins à Songs in the key of life. Mieux, je repoussais le moment de m'y confronter, ayant peur d'y voir presqu'un best-of de Stevie, une...

le 19 juin 2018

25 j'aime

31

Songs in the Key of Life
BRKR-Sound
10

CLASSIQUE

Tout comme l'album de Marvin Gaye "What's Going On", la réalisation de l'album "Songs in the Key of Life" demandera trois ans d'effort à Stevie Wonder pour peaufiner les 21 titres qui le compose. Une...

le 21 mai 2021

7 j'aime

3

Songs in the Key of Life
GuillaumeL666
10

Cet album n'est-il pas merveilleux ?

Quelle claque, quelle claque. Stevie Wonder, j'en ai toujours entendu du bien, mais je n'ai jamais eu le courage de m'intéresser à sa carrière. Vous savez, il y a de ces artistes légendaires qu'on...

le 3 avr. 2020

5 j'aime

3

Du même critique

Un grand voyage vers la nuit
Nio_Lynes
5

Demi voyage nocturne

C'est toujours frustrant de voir un film avec de grandes possibilités gâchées par plein de petites choses. Et en l'état, même s'il est rare que je me livre à l'exercice de la chronique négative, je...

le 20 févr. 2019

23 j'aime

6

Üdü Wüdü
Nio_Lynes
9

Cri barbare

Üdü Wüdü comme les deux albums qui suivent sont de nouvelles directions pour Magma qui cesse momentanément ses trilogies en cours. Le premier volet de Theusz Hamtaahk est par exemple fini dans son...

le 25 avr. 2017

21 j'aime

2

If I Could Only Remember My Name
Nio_Lynes
10

Musique au crépuscule

« Quelques jours après le début des répétitions, je passai par Novato pour rendre visite à David et Christine. Ils habitaient une grande maison de campagne avec Debbie Donovan et un certain...

le 28 août 2018

16 j'aime

24