Je suis le cinquième Beatle. Le fameux. Tous les autres ne sont que des imposteurs. Et vous aurez beau vous échiner à essayer de me faire comprendre que les dates ne correspondent pas, que j'étais même pas né, que je ne suis pas anglais, que je n'ai pas de talent, je m'en cogne total' ; dans ma tête je suis le cinquième Beatle y'a pas l'ombre d'un doute. Et tous ceux qui osent mettre en doute cette vérité sont forcément des négationnistes. Jaloux de surcroît. C'est dit.

J'y étais donc. Mieux même ; j'en étais. Et je m'en vais vous dire exactement comment que ça s'est passé moi, Sergent Pepper. A l'été 66 on avait pris la décision d'arrêter les concerts les potes et moi. Ça devenait vraiment trop le bordel, on s'entendait même plus jouer et le public encore moins. Et puis on courait tellement d'hôtel en hôtel d'un pays à l'autre que c’en était devenu épuisant à la longue, cette condition d'ambulant perpétuel. Sans parler de toutes les fois où on a failli se faire scalper par les hordes de fans. C'est important les cheveux mine de rien. Tout le monde en était devenu tellement gaga de nos trombines que c'était limite si on nous priait pas de guérir les écrouelles sur notre divin passage. Dés qu'on foutait un peu le nez dehors on était assaillis par tous les bords. Du coup on a rapidement été contraint de s'emmurer dans nos hôtels, rien qu'à fumer des cigarettes magiques et à refaire le monde. La beatlemania, je peux vous dire que c'était devenu sacrément chiant au bout d'un moment.

Alors on a dit stop. En y réfléchissant bien, ce fut peut être la meilleure décision de notre carrière. Déjà parce que ça nous a délesté d'un sacré poids, mais surtout parce que nous a permis de nous concentrer complètement sur le côté créatif. Et on s'est pas fait prier de ce point de vue là, on a ouvert les vannes. Quand on est revenus en studio à l'automne pour mettre en chantier Sergent Pepper, on était bien décidés à marquer les esprits et notre territoire. Vu qu'on était devenus la poule aux oeufs d'or, EMI nous avait même donner carte blanche sur tous les plans. On a profité de l'aubaine pour rester six mois en studio à peaufiner le bébé dans les moindres détails. La plupart du temps on travaillait la nuit. Je persiste à croire que c'est une période propice à la création. Durant ce laps de temps, on a sans doute expérimenté tout ce qu'il était possible d’expérimenter, essayé tous les instruments qu'il était possible d’essayer. C'est bien simple, durant ces quelques deux cents jours, on a carrément transformé les studios d'Abbey Road en laboratoire de musique. Véridique.

Question chansons permettez moi de vous dire qu'on était plutôt bien pourvus. Plein la musette y'en avait de la mélopée, si bien qu'on a été obligé d'en mettre de côté. Force est de reconnaître que la plupart d'entre elles émanaient de Paul. Il avait commencé à prendre un peu le dessus Paulo ; Sergent Pepper c'était d'ailleurs son idée au départ, même le coup de la moustache c'est venu de lui ; il s'était brisé une dent et fendu la lèvre supérieure en faisant le guignol en vélo quelques mois auparavant, du coup pour camoufler le tout il s'etait laissé pousser les bacchantes. Comme on trouvait ça cool on l'a imité. Donc Paul avait imperceptiblement pris le commandement que je disais, il commençait à devenir un tantinet dirigiste des fois, John était tellement occupé à se défoncer à l'acide qu'il s'est même pas rendu compte de la situation sur le moment, tandis que George commençait à s'impatienter de son côté. Ringo lui, s'en foutait. Enfin dans l'ensemble on travaillait un peu tous sur les chansons quand même, chacun pouvait apporter son écot, sa petite trouvaille. Peu importe qui la proposait on choisissait toujours la meilleure initiative, personne ne se formalisait d'un refus. Je crois que c'était d'ailleurs notre plus grande force durant cette période, cette synergie exceptionnelle, suffit d'écouter "A Day In The Life" pour s'en convaincre.

A l'origine "Strawberry Fields Forever" et "Penny Lane" devaient faire parti de Sergent Pepper aussi, ce furent d'ailleurs les premières chansons sur lesquelles on avait bûchés pour l'album. Mais comme il fallait claquer un single pour le début de l'année 67, George Martin et Brian décidèrent de lancer les deux merveilles en double face A, les condamnant par la même à sortir du listing de Pepper. Aujourd'hui encore c'est le plus gros regret du père Martin, il m'en parlait encore pas plus tard que le mois dernier. Le plus drôle dans l'affaire c'est qu'on avait tous les trois eu la même idée de composition au même moment, à savoir écrire une chanson sur notre enfance. Moi j'avais ramené "Hard Hard To Be A Baby" de mon côté, ça parlait de la difficulté d'être un bébé. C'était vachement profond et on était tous d'accord pour dire que de toutes, c'était la démo qui avait le plus de potentiel. Malheureusement, un jour où je m'étais absenté pour aller m'acheter une gaufre au Nutella au coin de la rue, les bandes furent maraudées sans que quiconque ne put mettre la main sur le larron. C'est George Martin qui m'a annoncé la chose, je m'en souviens bien parce que ça sentait un peu le cramé dans le studio, j'avais même craint à un incendie sur le moment. J'ai longtemps cherché ces satanées bandes mais je les ai jamais retrouvées. C'est la mort dans l'âme qu'on s'est rabattus sur les chansons de Paul et John. On a réussi à en faire quelquechose de vraiment pas mal à l'arrivée.

Y'avait pas grand chose à jeter de toutes façons sur Pepper, c'était un tout, un Everest pour les générations à venir, mais quelques chansons sortaient quand même du lot. Outre "A Day In The Life" qui clôturait magistralement l'album, John avait sorti de son chapeau magique un truc un peu barré, une sorte de comptine lysergique bizarre mais vraiment agréable, "Lucy in the Sky with Diamonds". Elle a été directement censurée par la BBC celle-là ; tout le monde avait compris que c'était une incitation déguisée à la consommation de LSD. Tout le monde sauf nous. Lucy in the sky with diamonds c'était les mots mêmes du gamin de John, Julian, pour lui décrire le gribouilis qu'il lui avait dessiné. Y'avait pas de quoi fouetter un chat, comme quoi c'est fou les interprétations des fois. Tout ce qu'on écrivait était passé au crible, à partir de là vous pouvez donner du sens caché à tout ce que vous voulez. "Fixing a Hole", "A Day in The Life" et "Being For The Benefit of Mr Kite" passèrent aussi sous les fourches caudines de la censure pour faire bonne mesure. C'est vrai qu'elles étaient bougrement addictives ces chansons, mais pas de quoi les interdire pour autant. En y repensant bien, heureusement que Paul avait involontairement renversé du thé sur ma démo de "Balibalo's Observations Of Baker Street" et qu'on a jamais pu l’enregistrer sinon vous imaginez un peu le tapage. On a eu du bol.

A part ça comme d'hab' on a laissé Ringo s’époumoner sur un morceau. C'est Paul qui s'y était collé pour l'occasion, un peu aidé par John pour les finitions. Ça a donné "With a Little Help From My Friends", plutôt pas mal comme chanson pour un mec qui chante comme un canard. George de son côté voulait devenir indien depuis son voyage à Bombay chez Ravi Shankar. Il avait complètement adhéré à la culture, à la philosophie, à la musique et tout. Alors il a fait une chanson sur le mode indien tellement il était imprégné. Il avait déjà fait le coup avec "Love You To" sur Revolver mais ce coup-ci c'était quand même bien meilleur, notamment niveau paroles, très réussies. Ça nous a directement propulsé dans la mouvance "Summer of Love" son petit truc et ça seyait à merveille notre parfaite panoplie de hippie en plus des moustaches, de la drogue et des costumes bigarrés de la pochette.

Parlons en un peu aussi de la pochette tiens, un vrai casse-tête. On voulait récompenser les acheteurs en leur offrant une magnifique de pochette. Nous accompagnés de tout le "lonely hearts club band" que c'était l'idée. On avait le droit de proposer qui on voulait pour compléter le tableau. Ça a fusé dans tous les sens. On a mis les Stones, Dylan, Churchill, Einstein. Enfin tout et n'importe quoi, ou plutot n'importe qui. Je serais bien en peine de vous donner les noms de la moitié des personnes figurant sur cette pochette moi. Brian ça lui a filé des maux de tête toute cette histoire. Il a du demander à tous les représentants l'autorisation expresse d'utiliser leur margoulette pour la photo. C'était la loi. Y'en a quand même quelques uns qui ont refusé, et y'en a même un autre qui a carrément demandé à ce qu'on lui file de l'oseille en échange. On a rien échangé du tout. Pour l'anecdote on a frôlé de peu la grande crise mondiale diplomatique avec cette pochette ; John avait demandé à ce qu'on fasse figurer Hitler et Jesus sur le cliché. Même Gandhi a été foutu dehors au dernier moment par la maison de disque pour éviter la controverse.

On l'a vraiment bien bichonné ce disque, ça on peut le dire, et au final il contient peut être les chansons qui reflètent le mieux les sixties. Toute cette curiosité insatiable, cet hédonisme, cette recherche de la beauté. C'était une période ou rien ne nous semblait impossible ; on y croyait. On y croyait dur comme fer à notre petite révolution spirituelle, à notre petit monde meilleur. On s'est peut être trompés au final mais au moins on y aura cru. Ecoutez attentivement des morceaux comme "Strawberry Fields Forever" ou "Lucy In The Sky With Diamonds" ou même "All You Need Is Love" qui est de la même période ; on y croyait à mort à ce qu'on chantait. Peu importe la pertinence ou l'intelligence de nos paroles on y croyait, c'était ni une pose ni de l'esbroufe. Non. Prêtez bien l'oreille et faites le vide en les écoutant. Vous y entendrez presque de la ferveur. Au minimum de la sincérité.

Tout ça pour dire qu'en définitive, on y a mis tout notre cœur dans ce disque, toute notre âme et toutes nos tripes. Et je vais vous dire franchement là, entre quatre yeux, ceux qui ne l'aiment pas notre disque en vérité, c'est vraiment que des sales Nazis. C'est forcément des sales Nazis. Jaloux de surcroît. C'est dit.
Saint-John
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le 25 avr. 2014

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le 26 avr. 2014

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