Rubber Soul
7.9
Rubber Soul

Album de The Beatles (1965)

Ringo:


L'épisode Buckingham Palace est le parfait symbole de ce qui est en train de nous arriver, de ce que nous devenons, et qui pourrait devenir l'explication de notre manque de succès possible à l'avenir. On change, on évolue, on grandit, on mûrit, on -vieillit- même, mais les apparences restent comme depuis le début: légères insouciantes, gaies.


La preuve ? Ben quand on est allé voir la reine pour qu'elle nous remette la médaille de membre de l'empire britannique, on est allé s'enfermer dans les chiottes (on parle des cagoinces de Buckingham Palace, mec !) pour allez y fumer… une cigarette. Depuis, Paul et John racontent qu'il n'y avait pas que du tabac dans la clope, et ne comptez pas sur moi, qui sait vraiment ce qui s'est passé, pour vous dire si c'est vrai ou pas.
Mais du coup, tu vois ce que je voulais dire ? En apparence, la reine, nous, bien propres, bien souriants… Moi, je sais pourquoi on était si… joyeux !
John a refilé sa breloque à Tante Mimi direct.


Les séances d'enregistrement deviennent à la fois plus intéressantes et plus chiantes. On passe plus de temps, on commence même à enregistrer de nuit (Drive my car, on l'a mise en boîte après minuit, une révolution dans l'univers guindé d'Abbey Road !), on tâtonne, on recherche, mais moi, j'ai de moins en moins de trucs à faire. Va falloir que je me trouve des hobbys pour meubler, si ça continue !
Paul s'est mis à la basse fuzz, George au sitar. Ils ont trafiqué la bande pour le solo de piano d'In my Life, et on s'est rendu compte que ça nous ouvrait des tonnes de perspectives, ce truc-là.


Mais tout ça n'est rien à côté du fait que j'ai écrit mon nom à côté de ceux de Paul et John sur les crédits d'une chanson ! Hé, ça le fait pas, ça ?
Bon, ma contribution ? A peu près cinq mots.


George:


Ha, ha cette pochette ! Le cheveu devient désordonné, les traits déformés, le lettrage psychédélique. C'est fini, les filles, les enfantillages et les histoires d'amour à deux balles. Enfin, presque. Enfin, va falloir vous habituer à entendre de moins en moins.
C'est pas dur, ce disque, on l'a conçu comme une entité pas comme une succession de singles. C'est la première fois qu'on a l'impression d'avoir produit un truc personnel. Les singles, on y arrivera toujours, la preuve avec "Day Tripper / We can work it out" que les poteaux ont pondu en deux jours pour qu'on aie le hit de Noël.
Moi, je m'affirme comme compositeur (ils m'en ont accepté deux, les lascars !) "Think for yourself", je me suis inspiré de "Satisfaction" des Stones, que j'ai littéralement adoré. Et "If i needed someone", elle est pour Patty. On a décidé de se marier. Je plane, même quand je ne fume pas ou quand j'avale aucune petite pilule.


On commence à refuser des projets, et c'est pas un mal. Moins de concerts, (un peu) moins de tournées, et puis on dit stop des idées qui ne nous collent plus du tout. Ils voulaient par exemple qu'on enchaîne sur un autre film (on en doit trois par contrat) qui se serait appelé "a talent for loving". Faut pas déconner.


John:


Je crois que j'ai pondu la chose la plus intime à ce jour. Ça venait d'un long poème que j'avais écrit depuis un moment, où j'évoquais ma jeunesse, les lieux de Liverpool qui ont déjà ou vont disparaître (avec plein d'évocation de noms, comme la tour de l'horloge, le hangar des trams, Penny Lane…) et Paul m'a aidé à mettre de la musique sur tout ça, en élaguant un maximum les paroles. "In my life", ça s'appelle. Je suis très fier du résultat. Avec Paul, on a l'impression de passer du statut de faiseurs de tubes adolescents à… ben à des artistes. C'est agréable.


Avec Cynthia, c'est pas ça, on ne s'est jamais senti aussi éloigné l'un de l'autre, comment pourrait-il en être autrement , avec ce que je vis et ce qu'elle vit elle-même, recluse et cachée en banlieue ? On est tellement peu souvent ensemble. J'ai presque pas vu Julian depuis qu'il est né. Du coup, j'écris des choses à double sens. Norwegian wood, ça à l'air d'une histoire jolie ou rien n'arrive vraiment, mais je sais, moi, que ça parle d'une aventure extra-conjugale. Que j'ai vécu.
Nowhere man, ça ne parle que de moi, encore, et pas que du fait que je suis myope comme une taupe !
"Girl", c'est pareil: j'y exprime mon malaise avec la doctrine chrétienne (le sujet me passionne, je lis des tonnes de bouquins sur le sujet quand je m'emmerde -pléonasme !- à la maison) mais je suis sûr que très peu y verront ce sens.


Par contre, Paul et George ont déconné. La chanson est magnifique, ils étaient pas obligés de chanter 200 fois "tits tits tits"* sur les chœurs ! Le jour ou quelqu'un va s'en apercevoir et en parler, le morceau va sacrément perdre en émotion, putain !


Paul:


Non, Michelle n'est pas un hommage à la culture française. Je trouvais juste que les sonorités collaient bien au pays du camembert. J'avais la mélodie dans mes cartons depuis des lustres, pour celle-là.


J'aime le changement d'orientation qu'on a pris avec ce disque. Même quand on parle d'amour et des filles, on ne le fait plus de la même façon. T'as qu'à voir, quand John écrit "the word" (le mot, qui est amour, évidemment), c'est pour dire que ce mot est amené à bouleverser le monde, qu'il faut le répandre partout, et si possible en prenant du LSD. Tu parles d'un changement avec "she loves you yeah yeah yeah" qui date d'il y a deux ans à peine !


Moi c'est pareil, j'ai un peu cessé de parler d'un truc théorique pour me raconter un peu plus. J'avais jamais abordé l'amour sous l'angle de la douleur. Faut croire que je grandis un peu, non ? Peut-être qu'il m'est arrivé un ou deux trucs dans la vie, tout simplement. Jane est partie, a déménagé pour faire son métier, suivre une troupe de comédien, jouer Shakespeare, tout ça. Je suis sensé respecter son indépendance, et j'y arrive pas. Quand je l'appelle et qu'elle ne répond pas, ça me rend fou. La situation est d'autant plus curieuse que je continue à vivre chez ses parents, tout de même. Du coup, je me venge en chanson. "we can work it out" ou "I'm looking through you", c'est direct pour elle. J'espère qu'elle va comprendre. Hé chérie, c'est pas comme si j'étais pas très sollicité de mon côté.


C'est devenu notre marque de fabrique le double sens. "Day tripper", de John est un modèle du genre (combien de gens pensent encore aujourd'hui, fin 65, que trip ne possède que son sens premier de voyage ?) et même mon "Drive my car", qui ouvre l'album, est beaucoup plus tordu qu'il y paraît. C'est la fille qui propose au mec de conduire, et le sous-entendu sexuel de tout ça ne passera pas inaperçu pour nos auditeurs les plus malins.


Si ça marche, (et ça à l'air parti pour, puisque on est encore numéro 1 avec l'album le jour de sa sortie), je crois qu'on va vraiment accentuer notre changement de direction. Je voudrais pas laisser à la postérité une image trop propre et lisse. Je nous sens intimement lié à l'époque. Le monde change, nous aussi, et je veux que le monde change aussi grâce à nous !



  • téton, en français


(Retrouvez l'intégralité des chapitres de la saga ICI !)

guyness
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le 26 sept. 2013

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guyness

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