C’est une année assez exceptionnelle pour les fans des Red Hot. Alors que le délai entre ses sorties tend à s’allonger, voilà que la formation californienne gratifie ses fans non pas d’un mais bien de deux albums sur la même année. Le retour au bercail du prodigieux John Frusciante avait en effet donné lieu à des sessions particulièrement productives avec près d’une cinquantaine de titres enregistrés. Un chiffre impressionnant mais qui n’est pas une première pour les RHCP : on se souviendra du double album Stadium Arcadium en 2006, de la compilation I’m Besides You ayant suivi I’m With You en 2011 et bien entendu des nombreuses b-sides et titres disparus qui parsèment leur longue carrière. Cependant, c’est la première fois qu’une telle stratégie de sortie est choisie, avec ce que ça implique créativement puisqu’on nous vend bel et bien deux albums distincts - et non pas les deux moitiés d’un tel projet. Sortir deux fournées issus des mêmes sessions, c’est aussi prendre le risque que la deuxième ne soit constituée que des titres rejetés pour la première. Tenant compte de tout cela et en assumant pleinement mon biais face au groupe, que vaut ce Return of the Dream Canteen ?


(Ma critique d'Unlimited Love pour plus de contexte :

https://www.senscritique.com/album/unlimited_love/critique/264799854 )


Je le dirai d’emblée et je n’aurai aucun mal à l’assumer : ROTC est à mon sens clairement meilleur qu’Unlimited Love. Le précédent effort de la formation était un retour efficace à leur formule traditionnelle : un album majoritairement léger, groovy et estival mais auquel il manquait indéniablement “quelque chose”. Un zeste de prise de risque, d’audace et d’inventivité musicale peut-être. Je regrettais aussi la place discrète prise par Frusciante. On retrouvait sans aucun doute le jeu et l’inspiration du guitariste mais il semblait clairement plus en retrait sur le plan créatif qu’à la grande époque des By The Way/Stadium Arcadium. Or Dream Canteen semble corriger, au moins partiellement, ces quelques réserves. 


Après écoute des deux galettes, on comprend aisément comment se justifie la découpe en deux albums. Unlimited Love était le disque du grand retour et de la réconciliation avec une partie du public. Le groupe y a donc naturellement privilégié les titres les plus accessibles. A l’inverse, Dream Canteen représente plutôt la facette “expérimentale” du quatuor, du moins celle qui s’autorise à quelque peu sortir des sentiers battus pour explorer de nouveaux territoires. On citera en premier lieu les exemples les plus évidents comme l’excentrique “My Cigarette”, titre dominé par une boîte à rythme (dont on devine que Frusciante l’a ressortie de ses bidouilleries solo) à la couleur nettement plus ambiante qu’un morceau des Red Hot moyen. L’ensemble est dominé par des touches électroniques, un chant qui cite curieusement Lady Gaga et un solo de saxophone conclusif du plus bel effet. 


Les influences electro du guitariste dominent également “In The Snow”, la longue piste de clôture aux accents 80’s Cold Wave atmosphérique - et avec un passage incongru en slam/poème signé Anthony Kiedis. C’est totalement inédit pour du RHCP et d’un autre côté, on retrouve clairement le talent mélodique de la paire Frusciante/Kiedis à son meilleur. C’est d’ailleurs le premier titre dont je marmonnais le refrain après seulement une ou deux écoutes. Sur les autres pistes, l’audace est plus subtile et se situe davantage dans la tendance du groupe à entremêler et superposer ses influences, parfois au sein d’un seul titre. “Fake as Fu@k” alterne ainsi un couplet mélodique et feutré, un refrain ultra-funky semblant tout droit issu de Freaky Styley tandis que son outro aux power chords lourds évoquerait presque One Hot Minute. 


On retrouve le même genre genre de dynamique sur Reach Out, au couplet très calme et au refrain quasiment grunge. En parlant de grunge, Bag of Grins en assume pleinement l’héritage en s’imposant comme le pendant sombre de The Heavy Wing sur le précédent album : structure similaire mais la vibe classic rock en moins. Handful était probablement la ballade RedHotienne que le fan moyen attend depuis des années, mais son instrumentation nuance l’influence pop avec des touches quasiment dub tandis que son solo placé sur une rythmique jazzy le fait s’envoler vers d’autres sphères. Je pourrais aussi citer des titres comme Roulette ou The Drummer, qui utilisent des recettes connues mais avec des touches instrumentales plus originales bienvenues, ou la pause bienvenue offerte par la jolie La La La La La La La La. 


Je parlais de l’influence de Frusciante plus haut et il apparaît évident qu’autant la basse de Flea dominait le précédent album, autant c’est ici la guitare du maître qui s’impose. Sans jamais totalement s’emparer du mixage comme à l’époque de Stadium Arcadium, John remplit l’album de petites contributions, d’overdubs, de soli… On reconnaît plus souvent et de manière plus évidentes ses gimmicks de composition, ses grattés d’arpèges et suites d’accords fétiches. Deux titres me marquent particulièrement à ce niveau. Premièrement, “Eddie” : titre hommage à l’illustre Eddie Van Halen, on y retrouve les sonorités épurées tendance new wave de By The Way avec une guitare à la mélodie évidente. En clin-d’oeil au musicien dont le morceau est l’objet, Frusciante se lâche complètement avec un long solo final de toute évidence improvisé et rempli de ses plans favoris. On sent le guitariste complètement désinhibé et prêt à envahir l’espace sonore avec la même verve qu’à la grande époque du groupe. 


Mon autre coup de cœur, c’est “Bella”. Le couplet ultra funky tout droit sorti de Blood Sugar Sex Magik prépare le terrain pour un refrain typiquement Frusciante (cette suite d’accords emblématique, ce groove nonchalant dans le gratté <3) , dominé par une mélodie un peu sucrée mais terriblement mémorable. Pendant le pont, on est carrément sur du Frusciante solo - période rock indé - et ce retour final au refrain avec ce petit solo en arrière-plan me donne des frissons à chaque écoute. Jamais on n’a été aussi proche du son Red Hot qui me les a fait connaître, celui de Stadium Arcadium, à une époque où le groupe semblait intouchable. En gros je suis comme ça face à ce morceau : https://i.kym-cdn.com/photos/images/newsfeed/002/098/887/8b0.png 


Ce déversement de nostalgie sirupeuse permet de rappeler mon profond biais face au son du groupe qui me rend sans doute nettement plus indulgent face à un disque qui n’a probablement rien d’exceptionnel en soi. Return of the Dream Canteen compile malgré tout certains des défauts d’Unlimited Love : il est trop long (1h15 !) et aurait sans doute mérité un petit élagage, l’ensemble n’a jamais l’énergie et la spontanéité que le groupe a pu avoir dans sa jeunesse et je suis incapable de dire si un seul des titres de l’album aura la même longévité qu’une Californication ou Under The Bridge. Mon appréciation de Dream Canteen se fait à l’échelle de la discographie du groupe et en tenant compte de l’âge et du vécu de ses quatre membres. A ce titre, c’est sans doute leur album que je préfère depuis Stadium Arcadium et je ne pensais pas pouvoir autant apprécier un disque des RHCP en 2022. 


PS : je me rends compte que ma critique est très orientée sur Frusciante, or je ne peux bien entendu pas clôturer une critique d’un album des Red Hot sans complimenter l’ensemble du groupe. La paire Flea/Chad Smith est bien entendu aussi énorme qu’à son habitude, groovy à souhait quand il faut et capable de soutenir les montées en puissance de la musique comme ses envolées plus mélodiques. Kiedis est comme à son habitude : à la fois le point faible et la marque de fabrique du groupe. On lui reconnaîtra des tentatives plus ou moins payantes de sortir de sa zone de confort. Et la production de Rick Rubin est forcément très similaire à celle d’Unlimited Love : le son du groupe capturé de la manière la plus “live” possible, sans la compression des albums des années 2000. A noter un spectre instrumental un peu plus large que le précédent avec quelques cuivres en plus des boîtes à rythme déjà évoquées. 

Yayap
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le 29 oct. 2022

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