Reign in Blood
7.6
Reign in Blood

Album de Slayer (1986)

Tak-a-tak.


Une spatule racle une casserole, annonçant l'heure du repas.


Tak-a-tak.


Dans le métro, une fille secoue son sac. La sangle frappe contre une barre métallique.


Tak-a-tak.


Un jeune prof d'université frappe dans ses mains dans une tentative désespérée d'obtenir l'attention de son auditoire.


Tak-a-tak.


Trois coups secs, rapides, le tempo est précis, le silence s'ensuit.


Il n'en faut pas plus pour réveiller au fond de moi ce net souvenir, comme une plaie qui se rouvrirait au moindre contact, béante.


C'était en Juin 2014 et j'étais en enfer, près de Clisson. Je venais d'assister au concert d'Iron Maiden, et j'avais décidé de m'accorder une pause bière en attendant Sabaton. J'avais bien vu que le groupe programmé était Slayer, mais je croyais bien naïvement qu'ils auraient perdus avec la moitié du groupe toute énergie. Je pouvais bien suivre le concert depuis le bar.


Je me rends compte de mon erreur dès les premiers morceaux. Timing parfait, en cette veille de solstice d'été, Slayer fait descendre la nuit sur le festival tandis que la bouche d'Araya, chaman halluciné à la longue barbe grisonnante, déverse des torrents de haine sur les festivaliers. Dans la fosse, ceux-ci s'eveillent à ses mots pour entamer une danse chaotique et séculaire, faisant s'élever dans les airs un épais nuage de poussière qui vient envahir l'atmosphère crépusculaire de la scène.


Sans aucune pause, le groupe enchaine ses classiques comme autant de manifestes d'une violente misanthropie. Il se trouve que je suis seul, séparé de mes amis par les hasards des mouvements de foule et un réseau erratique. Je me rapproche lentement, fasciné. Je sais que le pire reste à venir.


Arrive alors ce trio parfait. Le tempo se ralentit alors que le groupe enchaine Seasons in the Abyss puis Dead Skin Mask, et à la fin de ce morceau...


Tak-a-tak


Un lointain larsen résonne. Je savais que le morceau devait arriver. Je l'attendais et le redoutais. Mais rien n'aurait pu me préparer à ça.


Tak-a-tak.


Trois coups secs, rapides, le tempo est précis. Le silence s'ensuit, lourd comme tous les péchés de l'humanité. Le groupe ménage son effet et le batteur répète son motif une bonne dizaine de fois, laissant le temps au ciel de descendre sur une foule figée dans l'attente de l'Holocauste. L'air s'épaissit et vient à manquer dans les poumons alors que chacun retient son souffle. Dans mes veines, le sang se glace.


Tak-a-tak.


Tout ce qui suit n'est que massacre, la tension accumulée se libérant dans un véritable déluge de sang. Quelques minutes plus tard, l'ange de la mort vient ramasser les restes avec un cri inhumain.


Il me faudra du temps pour saisir l'ampleur de ce que j'ai vécu. Le souvenir en est tellement net qu'il ressurgit aux moments les plus incongrus. On frappe à ma porte et me voilà de nouveau en enfer, à la veille du solstice, mon sang glacé et ma bière chaude, hypnotisé par la cérémonie impie qui se déroule devant mes yeux.


Je ne saurais pas vraiment poser de mots plus justes sur cet album, qui restera dans les arcanes du metal comme celui qui pousse le thrash metal à son niveau le plus complet. Je pense cependant qu'ils suffisent à donner une idée de la sensation viscérale que seule la musique de Slayer peut amener. Une musique capable de faire sauter un battement de cœur et de couper l'alimentation du cerveau pendant quelques secondes, le temps que le riff de Raining Blood déboule.

Nordkapp

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