Reflektor
7.3
Reflektor

Album de Arcade Fire (2013)

Dire que ce quatrième album des Montréalais d'Arcade Fire était attendu serait un doux euphémisme. Il fait suite à l'immense The Suburbs (2010), superbe collection de titres de pop-rock moderne, et ce nouvel album intriguait avant même sa sortie. Les rumeurs faisaient état de voyages à Haïti, de sessions d'enregistrement en Jamaïque et de la présence aux manettes de James Murphy, cerveau du feu LCD Soundsystem. Bref, de quoi laisser imaginer que ce Reflektor est pensé par Arcade Fire comme un nouveau départ leur permettant de se détacher de cette image de dieu international de l'indie pop pour aller se frotter à des sonorités disco et exotiques. Avant même d'écouter ce nouvel album, un autre élément nous intrigue, c'est sa forme soit un double-album, une première pour Arcade Fire.
Reflektor, la chanson titre, qui avait été envoyé en éclaireur, ouvre cet album. Et ce qu'on pensait de cet album se confirme. Arcade Fire inaugure un nouveau son, toujours sombre mais dansant. Space disco épique? On pense bien sûr à LCD Soundsystem mais aussi aux Talking Heads et David Bowie (période Station to Station). Cette première chanson dure plus de six minutes, contient de nombreux changements de rythmes et malgré le son spatial, froid, mais est remplie de chaleur due à la présence de cuivres et de percussions et au lyrisme toujours enflammé des Canadiens. David Bowie vient même donner un coup de main à ses protégés pour assurer les choeurs sur la fin.
Suit We Exist dans la même ambiance mais avec un aspect plus classique. La basse fait penser aux productions disco de Giorgio Moroder pour Donna Summer mais les arrangements sont plus classiques. Les guitares sont plus présentes et les violons chers à Arcade Fire font leur retour.
Sur les deux premiers titres, les influences caribéennes promises ne se sont pas fait ressentir mais elles débarquent en force sur ce Flashbulb Eyes: rythme dub, percussions calypso et cuivres reggae se font entendre. La basse est tellement énorme qu'elle laisserait penser que Paul Simonon du Clash s'est laissé inviter sur ce titre. On pense beaucoup aux productions de Damon Albarn ou même à celles de Diplo (Major lazer, Santigold). Un seul bémol, le titre est trop court!!!
On reste dans la chaleur caribéenne avec une plongée en plein carnaval d'Haïti dès l'intro de Here Comes The Night Time. L'ambiance se calme dès le premier couplet mais la basse est toujours aussi énorme et funky. L'ambiance s'emballe pour une fin une nouvelle fois carnavalesque avec ses cuivres et ses choeurs.
En 2012, Arcade Fire avait servi de backing bad à Mick Jagger pour un show TV aux USA. Cette expérience a du les marquer puisque les couplets de ce Normal Person font très Rolling Stones. Sur les refrains, les guitares se font entendre comme pour nous rappeler que les basses n'ont pas encore pris le pouvoir sur Arcade Fire. Peut-être le titre le plus rock de l'histoire d'Arcade Fire.
Après les années 70 reggae et disco, les années 60 des pierres qui roulent, on continue à remonter le temps avec l'ambiance 50's de You Already Know. On pense à une autre grande influence d'Arcade Fire, Bruce Springsteen et ses morceaux rock'n'roll légers qui venaient égayer l'ambiance plombée d'albums comme The River. Mais l'exercice de style est franchement raté et on s'y ennuie beaucoup.
On sort violemment de cette torpeur par l'intro punk de Joan of Arc. Le reste du morceau est basé sur une rythmique glam rock qui fait penser au Call Me de Blondie ou même au I Was Made For Loving You de Kiss. Le coup de fouet de l'intro retombe trop vite, le morceau ne décolle est jamais vraiment et le mélange de paroles françaises et anglaises est raté. On est franchement déçu par la fin de cette première partie.
Le deuxième disque s'ouvre par une reprise du Here Comes The Night Time mais en mode mineur et électro ambient. Cette nouvelle version n'apporte rien, hormis le fait qu'elle joue parfaitement son rôle d'intro à cette dernière partie.
Alors que ce nouvel album se faisait remarquer jusque là par ses sonorités électroniques, disco et caribéennes, on est surpris par ce Awful Sound (Oh Eurydice) qui semble ramener Arcade Fire à la pop baroque de Funeral (2004), le premier album d'Arcade Fire. Mais le morceau part rapidement vers toute autre chose, des synthés très Pink Floyd apparaissent et les refrains nous emmènent en pleine pop psychédélique. Les arrangements sont superbes, on pense beaucoup au meilleur de Mercury Rev ou des Flaming Lips. Un OVNI au sein de cet album mais une véritable claque.
It's Never Over (Hey Orphéus) nous ramène vers le coeur de cet album, cette espèce de space disco épique. On pense beaucoup à LCD Soundsystem pour cet électro rock à la rythmique énorme. Les refrains tranchent par leur aspect cotonneux mais cette association se fait parfaitement.
Arcade Fire pousse l'exploration plus loin en s'attaquent avec ce Porno au R'n'B. Le mélange des genres entre les voix et les violons d'Arcade Fire et cette ambiance Princière étonnent mais on est en droit de ne pas aimer.
Afterlife est pour moi la véritable claque de cet album. On savait Arcade Fire fan de New Order et le synthé de l'intro et les Hou-Hou des choeurs ne peuvent que faire penser au Temptation des Mancuniens. En même temps, avec un album fait de sonorités disco et de lyrisme pop, cette influence ne pouvait qu'être citée. Et comme dans le meilleur de New Order, on est partagé entre euphorie et mélancolie sur un ryhtme imparable. Une bombe!
Ce Reflektor se termine avec Supersymmetry, une magnifique ballade électro où les voix de Win Butler et de Régine Chassagne se mêlent pour chanter leur amour. Magnifique!
Au bilan, Arcade Fire réussit haut la main ce pari de se détourner de cette carrière toute tracée de nouveau REM ou Radiohead en s'aventurant dans de nouveaux sons: disco, reggae, funk, new wave, calypso, électro, dub. Certes, le changement de style n'est peut-être pas aussi radical (et réussi) que celui de la bande à Thom Yorke avec leur Kid A mais on peut dire qu'Arcade Fire a accompli haut la main cette mission.
Le seul bémol est le choix du double album et la longueur de ce Reflektor. Quand on voit la faiblesse de certains titres (You Already Know, Joan of Arc, Here Comes The Night Time II, Porno), on se dit que le choix du simple et du plus court aurait été plus judicieux pour que ce Reflektor soit un véritable chef d'oeuvre. Arcade Fire aurait-il pêché par excès de confiance?
Mais s'il faut en passer par là pour avoir des chansons aussi superbes que Reflektor, Awful Sound ou Afterlife, alors on veut bien tout leur pardonner. Un grand bravo aussi à James Murphy pour avoir merveilleusement mis en son ce Reflektor. Il a apporté avec lui la disco supersonique du génial LCD Soundsystem, l'a emmnené aux Caraïbes et l'a greffé à un Arcade Fire toujours aussi enflammé. Un coup de maitre!

thebluegoose
8
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le 17 déc. 2013

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thebluegoose

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