Red
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Red

Album de King Crimson (1974)

7e Roi Cramoisi : la Fin en Apothéose

Afin de clôturer cette année 1974, la composition de King Crimson va encore changer : en effet, David Cross au violon, se plaignant que son instrument n'est pas assez entendu en concert va quitter le groupe. Le quatuor devient trio, et les trois restants (Robert Fripp aux guitare et clavier, John Wetton à la basse, Bill Bruford) vont incarner à eux seuls une période qui pourtant aura connu ledit Cross et Muir. Cependant, vous vous imagniez bien qu'ils ne vont pas se faire un nouvel album tout à fait à trois. En effet, il seront accompagné du saxo soprano de Mel Collins (anciennement présent sur Lizard et Islands) du saxo alto de Ian McDonald (anciennement présent sur In the Court of the Crimson King), d'un personnage familier du nom de David Cross, ainsi que du hautbois de Robin Miller et de cornet de Marc Charig (habitué à collaborer avec eux). Le nouveau collectif est complet pour signer un nouvel album, représentatif d'un de leur visage particulier.


Mais quel est la particularité de Red, en plus d'avoir le même nom qu'un album de Taylor Swift et M. Pokora ?


Et bien Red, c'est tout d'abord une initiation au hard rock et au metal (comme je suis un peu nul, je sais pas vraiment faire la différence) et ce grâce à la face A, et plus précisément des morceaux Red, Fallen Angel et One More Red Nightmare. Red le prouve avec ses accords lourds très durs, presque insoutenables. C'est très répétitif et la tension s'alourdit de plus en plus, d'autant que ces 6 minutes semblent conséquentes. Fallen Angel le prouve avec une première partie étrangement calme mais qui se ressaisit par une basse mise en avant, lourde, et qui instaure une rythmique diabolique, entraînée par la guitare et le furieux saxo soprano. One More Red Nightmare, petit frère du morceau d'ouverture, le prouve par les mêmes accords et durs, mais se distingue par un rythme cette fois-ci plus dynamique plus enjouée , par une mélodie un peu plus orientée jazz par sa partie instrumentale magnifiée par les saxos et par la sonorité improbable des cymbales de Bruford, un bruit étrange qui ressemble à s'y méprendre à des claquements de mains.


Si cette face A est remarquable par son importance dans l'histoire du metal elle souffre un peu de sa monotonie ; et en réalité la face B est bien plus savoureuse en dévoilant une facette plus ouverte, et où le retrait relatif de la guitare électrique se fait apprécier. Et ce changement se fait sur Providence à l'origine une impro free-jazz lors d'un live dans la ville du même nom en juin 1974 (soit 4 mois avant sa sortie), bien que pour la version studio, sa fin est tronquée (on peut l'entendre cependant sur l'album célébrant le 40e anniversaire ou le recueil de concerts The Great Deceiver, mais n'apporte pas ). Pour le coup, il est assez comparable aux impros du précédent album, notamment Starless and Bible Black qui gardait ses solos de violons, sa batterie triturée, bien que celui-ci possède une dynamique un peu plus forte (avec des passables clairement rock). En quelque sorte, il réussit beaucoup mieux que les nombreuses tentatives précédentes.


Et enfin, difficile de parler de Red sans évoquer et s'étaler sur ce que l'on considère sa pièce maîtresse, celle qui clôture l'album, qui n'est autre que Starless. Elle devait figurer à l'origine figurer dans Starless and Bible Black (du moins les paroles proposée par Wetton) mais suite à un refus des autres membres, et par manque de place, elle fut reportée à ultérieurement. Jouée auparavant lors de live de Concergebouw de 1973 (le même que pour Starless and Bible Black, pouvant être entendue dans les références citées précédemment), le groupe décide tout de même d'en refaire une version studio.

Le début de Starless n'annonce pas de manière évidente la grandeur du morceau. Il s'agit d'une douce ballade dépressive au mellotron comme on y a déjà eu droit, tel l'Epitaph du premier album. Les paroles surréalistes, en vers libres, sont d'une froideur et d'une ambiance grisâtre. Mais déjà toute la beauté d'émane de ces 4 premières minutes, sublimée par ce thème joué par Fripp.

Mais le plus intéressant se révèle à la fin de ce troisième couplet, lorsque commencent la partie instrumentale et la mélodie de la basse, mise en avant, en solo par ses accords tantôt mineurs tantôt diminués vient apporter une part d'étrange à cette intro torturée, avec cette rythmique inimitable en .7/4 (je crois c'est assez difficile à déterminer) Puis s'ajoute la guitare, en jouant deux notes stressantes, qui se répètent, et qui restent les mêmes, et par simple fait de se répéter s'alourdit, et qui par moment s'autorise des montées chromatides. Puis Bruford qui arrive à créer une musicalité avec sa batterie. Et une tension s'installe. L'auditeur le sent, un crescendo se forme. Et pas besoin d'être un fan inconditionnel pour savoir que ça va péter. Alors pris entre l'instable basse, la stressante guitare, il veut voir le bout. Mais la montée, même si elle est toujours plus puissante, mais du temps à trouver. Et c'est un auditeur qui n'attend que l'éclatement. Alors intrigué, il continuer, malgré cette même basse, cette même guitare, cette même batterie. Quand soudain...

Ça dérape. Le saxo de Ian McDonald s'exclaffe au beau milieu du brouahaha de l'ensemble hystérique. Et alors qu'on le calmé, le voilà qu'il revient, toujours plus fou, toujours plus agité, mené par la colère de la guitare et la fureur de la batterie, pour s'achever sur le thème principal, mais cette fois il n'est plus plaintif, il est triomphant.


Starless, c'est le genre de morceau où chaque instrument est sublimé, de part son interprétation technique sans oublier sa place où il joue en toute beauté. Que ce soit la guitare et son thème principal (comme de son hystérie finale), que ce soit la basse et son ostinato caractéristique, celui qu'au final on retient de toute cette expérience, que ce soit ce saxo et son solo démentiel. La batterie est certes un peu en retrait, mais elle assure tout au long de ces 12 minutes.

Starless, et ce à travers Red, c'est le genre de morceau qui a mon sens qualifie le mieux le rock progressif, ce morceau qui malgré sa longueur se traîne pas, il a toujours quelque chose à dire ; c'est celui qui te fait voyager et qui à la fin te dit "regarde tout ce qu'on vient de faire". La progressif joue avant tout avec la mémoire.


Et avec Starless se termine une époque, un trio mémorable puisqu'en septembre 1974, Robert Fripp décide de dissoudre temporairement le groupe. Il survivra encore le live USA, puis un long silence de sept ans...


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le 28 juin 2017

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