L'iguane, les larbins et poussière d'étoile

La trilogie la plus explosive du rock. L'extraterrestre de Seattle et ses expériences, c'était énorme aussi, les 3 crèmes du groupe de Clapton c'était très cool aussi, mais rien d'équivalent avec la décharge de testostérone et de puissance que ce groupe de Détroit a intégré à ses 3 albums studios, étalés sur 4 ans. 4 ans sans succès critique et publique, une réputation locale aux côtés des MC5, signés chez Elektra sur le conseil de ces derniers. Un premier album comme mise en bouche (entre psychédélisme indien "We will fall" et proto-punk dément "I wannabe your dog"), un second, l'apogée (Funhouse, le nerveux et magnifique passage à la décennie suivante, un coup de foudre qui envoit 1969 et ses hippies aux oubliettes).

Puis 3 années de rien, de galère, un groupe au bord du trépas entre la mort du bassiste Dave Alexander et l'abandon des frères Asheton. Reste Iggy, seul à Los Angeles cherchant à continuer l'héritage de son groupe. Il trouve son salut en la personne du guitariste James Williamson qu'il va emmener avec lui en Grande-Bretagne, recueilli par le phoenix Bowie, qui s'est trouvé une mission consistant à remettre sur pieds ses idoles américaines (ex: production du superbe Transformer de Lou Reed).

Malgré un studio et des musiciens de studio anglais, le duo Pop-Williamson ne sort rien d'intéressant. Le courant ne passe pas, aucun musicien n'est retenu après les innombrables séances d'audition. L'ultime solution semble être toute tracée: rappeler les Asheton - Scott de retour derrière sa batterie et Ron prenant cette fois la place du bassiste.


Et la lumière fut.

La puissance de Scott derrière ses toms et les lourds riffs de basse de Ron donnent tout son sens à l'album. Et si un guitariste de la qualité de James Williamson sublime cela de notes saturées et, associé à la basse d'Asheton, joue plus vite et dur que lui permet son corps, ce train lancé à toute vitesse semble innarêtable. Il ne manquait rien, sauf d'un conducteur fou, d'un cri strident survolant le vrombrissement du moteur. Pop c'est un Mick Jagger sous speed, "a streetwalking cheetah with a heart full of napalm, a runaway son of a nuclear A-bomb". La furie la plus dantesque du rock, plus criard que les Sonics, plus bestial que Screamin' Jay Hawkins et plus scandaleux que Morrison. L'iguane qui se tord dans tous les sens, se scarifie avec des bouts de verre. Peu de gens ont autant incarné l'esprit de liberté qu'insuffle le rock.


Et maintenant, le tuto comment débuter un album par The Stooges:

  • tu prends ton titre le plus surpuissant, tu lui donnes un nom bien badass du genre "Search and destroy" puis hop la fausse intro plus tranquille de "Gimme Danger", ton hymne au sexe et au BDSM, qui avec ses "raise my feelings one more time" envoit ton auditeur au 7ème ciel.
  • Puis pour bien continuer, tu places des titres du type "Penetration" et son carillon enfantin, "i need somebody" et son riff bluesy acoustique incroyable, le titre éponyme et son piano de feu, puis un titre qui égale les 2 premiers, j'ai nommé "Shake Appeal" et son intro "one two three four *doumdoumdoum".

Et voilà, tu as un album plutôt sympatoche.

Tu as repoussé les limites de la bienséance, ta pochette est aussi sombre et torride que ton disque, et tu prouves qu'aucun Led Zeppelin ni Black Sabbath ne t'atteint.


Puis, plus rien. La fin du groupe après 4 ans ravageurs et 3 albums uniques.

La descente aux enfers pour le frontman qui s'exilera à Los Angeles et continuera de jouer avec James Williamson, avant que son ami Bowie ne viennent le repêcher et lui fasse enregistrer 2 album (The Idiot et Lust for Life) et le relancer sur les rails, Pop qui reste prolifique de nos jours. Les autres membres des Stooges retourneront à leur vie d'avant, chez leurs parents à faire des petits jobs. Eux ne seront repêchés que 30 ans après, pour une série de concerts.


Les Stooges c'est une carrière sans succès, mais une reconnaissance antérieure énorme, un des plus grands groupes de rock américain. Le plus scandaleux, le plus puissant, un précurseur pour tout ce qui viendra ensuite.

Inclassable, un groupe dont la seule énergie pourrait substituer aux besoins de notre planète.

Méconnu du grand public, seul la figure emblématique de Pop subsiste, l'éternel Godfather of Punk, dont l'aura et le statut ne serait pas le même sans ses amis musiciens. Car oui, foutez-le aux oubliettes ce "Iggy and the Stooges", ce qui fait l'essence de ce quatuor, c'est la lourdeur des rythmes de batterie d'Asheton, la basse vrombissante (ici) de son frère, et les distorsions de Williamson. Ce groupe est un ensemble, et n'a qu'un seul nom, The Stooges.


Créée

le 19 oct. 2022

Critique lue 17 fois

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Tom-Frost

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