Or noir
6.4
Or noir

Album de Kaaris (2013)

« Critique » issue d’annotations tronquées par la limitation de caractères des listes.


Plus les écoutes défilent et plus c'est enthousiasmant. On n'épuise jamais vraiment ce répertoire de punchlines déclamées avec un flow balèze. Bizon est sûrement le morceau le plus impressionnant question flow d'ailleurs. Booba passe pour une petite frappe à côté, en tout cas sur le feat de l'album où l'autotune fait ressortir la fragilité du grand keubla qui met sa bite dans la bouche de Charlie Hebdo.


Même les morceaux plus faiblards ou évidents comme "Dès le départ" passent de mieux en mieux à force d'écoutes [oui oui, la première fois qui fait mal, tout ça...], en saisissant le texte sous un autre angle, plus métaphorique [oui ça reste de la licence poétique de prolo, mais quand même...], ou juste en retenant les sonorités plus que le fond du texte. On se prend alors à rêver d'être un américain qui écouterait Kaaris comme nous on écoute Dr. Dre et compagnie en pipant que dalle mais en faisant quand même mine d'apprécier [et de comprendre, soit prendre dans sa totalité] parce que c'est cool et branché d'aimer le Hip Hop en ces années 2010.


Non, malgré le folklore du Rap FR mainstream pas bien attrayant, j'ai bien envie de dire qu'on n'a pas besoin d'aller chercher des textes imbitables du côté anglophone pour nous verser notre dose de beats surmontés de rimes assassines. Kaaris est [était ? J'ai l'impression que ses titres récents sont plutôt mièvres] un bon représentant du Rap Hardcore, avec à la fois la technique vocale et les textes de qualité [bien que frontaux, mais c'est le style qui veut ça, on n'ira jamais reprocher à Cannibal Corpse de parler d'éjaculation sanguine, ou si, mais parmi un public extra-Metal].


Le public a le droit au frontal et au "sale" si la fin justifie les moyens, et même s'il doit s'agir de poncifs vraiment pas bien dégrossis : du sexe sans amour [ça existe vraiment l’amour ?], de la violence de gang... On n'est pas là pour prôner la paix et l'égalité dans le monde, c'est juste le reflet en négatif et sans bonnes manières de la soi-disant gentillesse et politesse des dominants qui abusent de la violence symbolique comme si de rien n'était. « Chez nous, l'animal dominant est un noir chauve » sur le morceau « Zoo » l’illustre bien : on a affaire à l’animal puissant qui domine par l’élévation physique plus que spirituelle, dans l’imaginaire prolo de la franchise et de la camaraderie « naturels », du phallus instinctif qui devrait dominer l’intelligence froide, la ruse et les faux-semblants des classes dominantes qui usent de stratagèmes [la fameuse « stratégie », maudit mot-valise qu’on voit partout : amour, boulot, famille…] pour conserver leurs privilèges [et on parle pas des cheminots, hein, encore un bon exemple de ruse des bourges pour détourner l’attention vers les mauvaises cibles] acquis par l’arnaque légale [au hasard, le commerce comme prédation des producteurs et consommateurs par les intermédiaires] et l’immoralité devenue légalité.


Reflet négatif évidemment [le gros noir contre les p'tits blancs, yin yang, toussa...], car Kaaris veut lui aussi rejoindre ce cercle immergé et monter son biz pour faire du « keu-sha » comme il en rêve depuis qu’il est gosse, peu importe les moyens, forcément détournés compte tenu de son background [son « habitus » comme dirait Jean-Claude Dus de la Villardière] peu favorable à l’émancipation de la mouise.


Même si c'est pas évident au premier regard, le sous-texte de Kaaris est politique, plus ou moins explicitement en fonction des titres. C'est sûr que ça reste du sous-texte, donc on n'en fera pas un rappeur conscient éminemment subversif et anti-étatique, tout au mieux irrévérencieux, mais ça a le mérite d'être là et de dépasser le stade du rappeur « bling bling » machine à foutre à bagouses pour un peu rejoindre la figure plus « classique » [comprendre « old-school »] du rappeur enfermé dans sa condition d’être ghettoïsé. Le morceau « Or Noir », plus introspectif, tacle notamment l’éducation nationale, l’alcool comme échappatoire… Et c’est pas le seul, mais faut avouer qu’avec 17 morceaux et la densité globale des paroles qui en découle j’ai encore du mal à m’y retrouver.


En aparté, toutes les pochettes du bougre m'ont l'air confondantes d'egotrip et de banalité voire de mauvais goût mais c'est sûrement le folklore du Rap FR qui veut ça... Il ne faut pas juger un livre à sa couverture, comme on dit, et c’est d’autant plus valable quand on voit que la plupart des éditeurs de romans se cassent pas trop la nénette pour illustrer les romans de leurs auteurs.


Le « peu » qu’il propose, Kaaris le fait bien. Et même si les instrus peuvent paraître « légères » voire pauvres, c’est clairement l’envie d’en découdre dégagée par le sieur 2-7 2-7 qui emporte tout sur son passage. Et puis c’est oublier que les textes, bien que « bruts » de premier abord, ont été assez fignolés pour bien sonner. On n’a pas affaire à du Marcel Proust [ni du Gaspard Proust, le comique des riches qui ne dissimulent pas leur cynisme] ni dans la forme ni dans le fond [et c’est tant mieux], mais le style vocal sert parfaitement la musique. C’est de l’art brut qui révèle des feuilles d’or quand on gratte la couche superficielle.

Adrast
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le 11 juil. 2018

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