OK Computer
8.1
OK Computer

Album de Radiohead (1997)

Est-ce parce que les Radiohead font figure, au regard de la douzaine de sites qui leur sont consacrés, de groupe fétiche au sein de la communauté internaute ou bien s'agit-il plutôt d'un clin d'oeil à un statut de groupe à guitares qui en avait fait les successeurs naturels de l'école noisypop ? Toujours est-il que ce très attendu troisième album s'intitule O.K.Computer. Rien de froidement mécanique pourtant à l'écoute du nouveau disque d'une formation qui n'en finit plus de surprendre, à l'image de Colin Greenwood, bassiste jusque-là fort discret qui en impose d'entrée de jeu sur un saisissant Airbag. Suivent les six minutes épiques et haletantes d'un Paranoid Android aussitôt propulsé au rang de single, avant un Subterranean Homesick Alien, symbole de l'apaisement d'un groupe qui n'a plus aucun compte à rendre, surtout pas aux plus grands. Dylan donc, Neil Young bien sûr, pour le très country-rock Karma Police, soit la plus belle réussite des cinq d'Oxford depuis... Lucky, un morceau dévoilé sur la compilation Help il y a déjà 18 mois de cela. Ailleurs (Exit Music, No Surprises), la simplicité gagne droit de cité chez un quintette parvenu au sommet de son art. C'est que loin de se satisfaire de la perspective d'un nouveau virage sous la forme d'un The Bends Mk II, Radiohead n'en est plus à affirmer sa maturité, puisque c'est désormais de majesté qu'il s'agit. Le vilain petit canard qu'était Thom Yorke s'est transformé en petit prince de la pop. La concurrence n'a plus d'autre recours que de lui prêter allégeance.


Trop violent et indiscipliné pour conduire pépère sur le boulevard de son triomphe programmé, Radiohead quitte la route en beauté, sur un album déjà classique des années 90.

Depuis quelques semaines, l'épiderme pourtant opaque et coriace formé autour de Radiohead laissait perler la rumeur d'un troisième album cyclonique. Afin d'encaisser le choc, on aura pris soin de nous confier un Airbag à l'entrée : sage précaution au vu des dangers qui guettent l'acquéreur oisif du nouvel album de ce groupe entendu sur Fun Radio, recommandé par les instances légales du jeunisme, ou pire, intronisé nouveau U2 auprès d'une génération qui cherche toujours ses prochains messies dans les vieilles lanternes. Fort avis de tempête, donc, à l'horizon d'un groupe dont on a jusqu'ici sous-évalué le pouvoir de faire la pluie ­ acide, de préférence ­ et le beau temps sur le rock des années 90. Parti bille en tête, sans cahier des charges ni fil à la patte ­ "Prenez tout le temps nécessaire, enregistrez où vous voulez et avec qui vous voulez", s'était résolue à dire la maison de disques ­, Radiohead remporte enfin l'épuisant bras de fer qui l'opposait à son entourage, à tous ceux qui voyaient dans le clonage de Creep le seul salut utile au groupe. Papillon fou livré trop tôt en pâture à la lumière, Thom Yorke ne s'est personnellement jamais laissé griser par la perspective des stades promise à Radiohead. The Bends, déjà, entamait ­ après les balisages un peu trop voyants de Pablo Honey ­ un reflux vers des frontières mouvantes, comme si le groupe avait fait du vertige la matière première de ses chansons, des abîmes le seul réceptacle propre à les accueillir. Un saut de l'ange sans élastique, telle est désormais la manière qu'a choisie Radiohead pour échapper à son destin. D'abord, tenir tête aux radios ­ et à la dictature de leurs formats ­, comme le prouve Paranoid android, premier single aussi époustouflant que sombrement masochiste, qui frise les sept minutes lyriques et liturgiques à la façon d'une Bohemian rhapsody en camisole. On pense dès lors à REM, à la beauté noire et fracassée de Drive, virage en épingle d'un groupe refusant lui aussi de se laisser piéger au radar sur l'autoroute. OK computer recense ainsi douze manières différentes de quitter la chaussée et autant d'issues pour se soustraire à la pesanteur terrestre. Au moins le strabisme de Yorke l'empêche-t-il de regarder comme tant d'autres en direction du musée ou de son nombril, et c'est cette vision plurielle et anarchique qui confère à Radiohead une identité résolument neuve, exempte de toute référence contrôlée. Evidemment, Radiohead doit beaucoup à Television ­ sans les images de cet Epinal du rock qu'est New York ­ ou à Magazine, autre média prémonitoire. Mais il doit surtout à lui-même, à son imposante force motrice, cette violence rentrée qui fait basculer les chansons hors de leur cadre. La voix de Yorke s'abstient cette fois de toute dérive théâtrale pour se mouvoir en longs travellings ponctués de zooms chirurgicaux, appuyée par un scénario musical foisonnant de trouvailles ­ tel qu'en témoigne le bien nommé Exit music (for a film). Au lieu du cyclone annoncé, c'est carrément un tremblement de terre dont l'onde de choc n'oubliera personne : ni les hit-parades qui accueilleront Let down en triomphe ni la postérité qui se chargera du sort de Karma police ou No surprises. Ceux qui ­ comme nous, avouons-le ­ ont parfois douté de Radiohead n'ont plus qu'à ronger humblement leurs remords. (Inrocks)

bisca
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le 21 févr. 2022

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