Ohms
7.2
Ohms

Album de Deftones (2020)

Deftones est sans doute l’un des rares groupes de sa génération à avoir traversé les âges sans encombre, allant même jusqu’à se bonifier avec le temps. Diamond Eyes et Koi No Yokan étaient deux albums presque thérapeutiques qui ont sans doute permis aux membres de surmonter le tragique coma et le décès de son bassiste originel Chi Cheng. La formation de Sacramento y avait atteint une espèce d’état de grâce et accouché par la même occasion de deux de leurs albums les plus équilibrés, en forme de synthèses de leur carrière.


Gore quant à lui, traduisait une volonté d’aller de l’avant et d’explorer de nouveaux horizons en terme de composition. Si j'avais beaucoup aimé l’album, force était de constater qu’il avait souffert de son processus de création : une production chaotique - à l’arrivée, c’est de loin l’album le plus mal mixé du groupe - et surtout la mise en retrait du guitariste Stephen Carpenter, pourtant l’une des deux forces créatives prédominantes du groupe. En avait résulté un album inégal et carrément bâclé d'après Chino Moreno, malgré quelques pépites (Hearts/Wires, Phantom Bride…).


Pour la composition et l’enregistrement de son 9e album, le groupe a donc tenu à retrouver une certaine essentialité. En premier lieu, le processus créatif s’est semble-t-il effectué en deux temps, via des sessions n’impliquant que le trio originel Moreno/Carpenter/Cunningham avant d’intégrer les autres membres du groupe. L’autre élément-clé était bien entendu le retour du producteur historique Terry Date, qui avait contribué au son si distinct du groupe au travers de leurs 4 premiers albums. Si on aurait pu craindre (ou espérer, selon les attentes) un bête et méchant “retour aux sources”, ç’aurait été mal connaître le groupe. Ohms est au contraire parfaitement représentatif de l'évolution de Deftones, reprenant un peu de chaque album précédent tout en enrichissant sa palette sonore.


Que dire d'un point de vue musical ? Que c'est un album très 80's, par la présence prépondérante du synthé de Frank Delgado et ses nombreuses transitions qui évoqueraient parfois du Vangelis, mais aussi par l’inclusion de refrains presque duranduranesques (Ceremony, Radiant City...), et je dis ça très positivement. Plus que jamais, le groupe exploite la dynamique qui a fait sa renommée, les riffs de guitare à la 8/9 cordes, mis en avant dans le mixage, succèdent aux passages éthérés et groovy où la voix de Chino, les claviers de Delgado et (bonne surpris !) la basse de Sergio Vega prennent le dessus. Les transitions entre les ambiances sont souvent osées et parfois abruptes, le groupe préférant la surprise à la construction de morceaux uniformes. Parfois ça fait des merveilles, comme Urantia où Carpenter semble presque vouloir contredire le délire new wave du reste du groupe avec son riff tout droit sorti d’Adrenaline. A d’autres moments le contraste est un peu trop brutal, comme sur Pompeji et son splendide couplet dream pop interrompu par un refrain un peu trop monolithique.


La dynamique traditionnelle du groupe donne lieu à quelques unes de ses plus belles créations récentes, comme Error et son couplet typiquement nu-metal auquel succède un refrain envolé et surtout une splendide deuxième partie que n'aurait pas reniée ISIS. The Spell of Mathematics utilise toute la puissance de la guitare 9 cordes, non pas pour juste envoyer une espèce de purée djent saturée mais bien pour rendre le son paradoxalement à la fois plus lourd et plus léger : comme sur de nombreuses pistes de Diamond Eyes, la clé est l’association entre le riffage de Carpenter et les nappes sonores de Delgado qui génère ce feeling de “brutalité aérienne” (on pensera par exemple à You’ve Seen The Butcher). Que dire de cette outro planante et de son obsédant claquement de doigts parfois hors du rythme. Volontairement ? Vu le titre, ça ne m’étonnerait pas…Headless s’est quant à elle discrètement imposée comme ma piste favorite de l’album. Un couplet tout en lourdeur qui recycle un peu (en mieux) celui de Rubicon, un refrain splendide et terriblement sensuel refrain comme seul Chino peut en pondre, un pont obsédant…


Les pistes les plus heavy de l’album ne sont pas en reste. Encore une fois, le groupe se refuse à simplement recycler ses acquis. Genesis agit comme une entrée en matière plutôt rassurante en se reposant principalement sur un riff simple et massif qui n’aurait pas été déplacé sur Diamond Eyes ou Koi No Yokan. This Link Is Dead décrasse les oreilles avec son groove hip hop, le chant de Chino qui n’avait plus paru aussi vénère depuis un moment, et sa guitare menaçante. Radiant City propose le riff le plus heavy de l’album (Steph a dû bien s’amuser) avant d’à nouveau partir sur complètement autre chose avec le refrain. Enfin, la plage titulaire qui clôt l’album et fut également son premier single, est l’archétype du morceau “slow-burn” deftonesien pour moi. Très simple et de prime abord plutôt mineure, l’évidence de ses parties guitare et de sa mélodie principale en ont progressivement fait un essentiel de l’album à mes yeux.


Le retour de Terry Date fait un bien fou à l’ensemble et rappelle que la qualité du son studio a toujours été un élément clé de la réussite du groupe. Gore pâtissait de sa prod bâclée, entre des guitares trop en retrait, une batterie souvent brouillonne, et un chant pas toujours en harmonie avec le reste. Date rend justice au son des Deftones et réussit l’exploit que chaque instrument soit parfaitement clair au moment où c’est nécessaire. Quel bonheur de retrouver le mur du son des guitares de Carpenter ou de pouvoir profiter de toute la subtilité du jeu de Cunningham. Ce n’est pas non plus l’album du groupe à la plus grosse pêche, mais ce n’était sans doute pas le projet non plus au vu de l’orientation des compositions...


Ohms ressemble à l’album d’un groupe qui s’est retrouvé. Les cinq de Sacramento ont une fois plus surmonté les tourments internes propres à leur histoire et chaque membre semble parfaitement à sa place au sein d’un ensemble à la fois cohérent et étonnamment varié. Les Deftones apprennent de leurs erreurs et surtout ne cessent d’évoluer, sans jamais renier leur glorieux passé.

Yayap
9
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le 2 oct. 2020

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Yayap

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