Offering: Live at Temple University (Live) par xeres

Quand il est paru en 2014, je l’avoue, cet album m’a bouleversé. Tant d’années passées en compagnie de la discographie du géant, à l’écouter, à la scruter même, à me fondre dans sa musique, les albums de toutes les époques, mais celle qui m’a le plus fasciné, interrogé, remis en cause, c’est la dernière, celle qui dépasse l’entendement, dépasse l’idée même de musique…


Il est arrivé en 2014, son nom, Offering: Live At Temple University, double LP cossu avec des cartes postales à l’intérieur, insert, pochette Impulse US, numéroté, du solide. Pour ce qui est de l’enregistrement la qualité technique est assez moyenne, la prise de son imprécise, un morceau est incomplet, le rendu est très imparfait mais un effort est fait pour l’écoute des ténors. Je conseille de monter le son.


Le contexte de ce concert n’a rien de réjouissant, il s’est déroulé à Philadelphie en 1966, le onze novembre. L’époque n’était pas très propice au jazz d’avant-garde, le lendemain la presse titrera « Une pauvre affluence au show de Coltrane », un tiers de la salle est remplie et elle se vide pendant le concert. L’échappée commence dès le début avec une version de « Naïma » transfigurée. Et puis il y a « Crescent » le premier chef d’œuvre ici, Pharoah dépasse tout, une expérience d’écoute difficile à transmettre tellement elle est intense, mais certains n’y entendront que du bruit. Je pense qu’encore aujourd’hui beaucoup n’iront pas au bout de cet album, y’a des trucs qui ne sont pas fait pour tout le monde, on ne peut rien y faire, c’est comme ça...


Pourtant, en 2014, entendre Coltrane ressuscité des morts, ce fut un cadeau extraordinaire, miraculeux, particulièrement pour ce concert précis, pour ces moments de sincérité totale arrachés au temps, cette version de « Léo » complètement allumée, irréelle, transcendée par le souffle du ténor de Pharoah qui se donne totalement, se vide de son énergie, tout au bout du souffle et du don de soi. Place ensuite à une tornade de rythmes engagée par Rashied Ali et l’armée des percussionnistes qui se consume, complètement survoltés, chose inouïe, Coltrane scande une mélopée, il chante ! Micchael Brecker était présent il raconte sur Jazzmag n° 665 : « Je me souviens que Coltrane tapait sur sa poitrine en criant. J’étais abasourdi, je ne m’attendais pas à ça. En découvrant le CD (un pirate) je me suis aperçu qu’il ne criait pas mais qu’il chantait magnifiquement, très fort, tout en intervalles. La musique était très free. Coltrane était évidemment incroyable, et Sanders au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. » Vient le solo de Trane, le souffle est plus court désormais, les phases sont brèves mais s’enchaînent fiévreusement donnant un sentiment d’urgence, la musique s’emballe… puis tout à coup s’arrête d’un coup, le bras se lève : Il faudra imaginer la fin de son solo.


De l’autre côté de la galette, face D, « Offering » qui claque, lumineux, Coltrane quasi seul, bien que l’on entende Alice au loin, la courte pièce s’achève avec un solo de basse de Sonny Johnson. « My Favourite Thing » au soprano pour finir, un tapis de percussions incessant et Steve Knoblauch, au soprano lui aussi déchire à son tour… Coltrane a dû batailler encore et encore pour imposer sa musique, si belle, si incomprise, il y a quelque chose de pathétique, là.


Sept mois avant la fin.

Créée

le 9 nov. 2022

Modifiée

le 9 nov. 2022

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