Il y a de ces disques qui réussissent à transcender les genres, sembler la cristallisation de tant d’idées subtilement variées qu’ils s’imposent comme œuvres uniques, rares, totales. Mürmuüre est un projet plutôt anonyme dont on ne sait réellement déterminer la genèse, ni d’ailleurs la fin, n’ayant produit qu’un seul disque éponyme. Beaucoup de choses ont déjà été dites à son sujet, des chroniques rateyourmusic à celles des plus obscurs blogs de passionnés, mais tant reste à dire. Ce, probablement car l’œuvre elle-même échappe à chacun, ne semble exister que par et pour elle-même, impossible à cerner totalement ni décrire justement.
Mürmuüre c’est un voyage qui débute en nous ramenant à Pasolini, avec un sample des mélodies de Carl Orff pour Salò. Le ton semble déjà donné, et pourtant les surprises n’arrivent qu’ensuite, à la lumière d’un artwork mystérieux, évocateur sans que l’on sache trop pourquoi. Par la suite, et une demi-heure durant, on se retrouve absorbé dans une musique ambiante, distordue et hargneuse autant que sublime et aérienne. Selon les mots de son auteur, l’ensemble serait tiré d’une seule session d’improvisation à la guitare, soit un collage des passages de cette transe entre eux, agrémentés de divers enregistrements et samples, comme pour composer à partir de la catharsis elle-même. La démarche est passionnante - la part de calcul et d’improvisation plus difficile à mesurer, et alimente d’autant plus la légende autour du disque, atterri sur la terre comme s’il était comète tombant du ciel.
On marche d’abord au travers d’un jardin de fleurs, et les couleurs environnantes sont délavées, kitsch, pastels. Tout d’un coup, les filtres virent au négatif, et la vision joyeuse d’un temps se transforme en une horreur magnifique qui nous fait frissonner. Le bruit et la béatitude, les frissons et la contemplation. Du Black Metal ici ? Peut-être. Mais autant, à vrai dire, ne pas trop se fier aux étiquettes, et plonger tête baissée, sans réfléchir davantage, dans cette œuvre autant cryptique que passionnante. Le disque fête d’ailleurs ses 10 ans cette année, et demeure œuvre inégalée en son genre. Comme un murmure qui passe à l’oreille, et nous marque à vie.
Chronique publiée à l'origine pour Horns Up