Mr. Bungle
7.5
Mr. Bungle

Album de Mr. Bungle (1991)

Il y a au début de cet album --si ma mémoire est bonne-- 34 secondes de rien. Du vide. J'ai longtemps cru que c'était un concept, histoire que le riff d'intro soit sauvagement envoyé à la gueule de l'auditeur comme une surprise flippante. Mais, apparemment, non, c'est juste que j'ai une version censurée de cette galette, où 34 secondes de bla bla ont été coupées... Du moins c'est ce que mes plus courtes recherches m'ont amené à croire, et je ne demande pas spécialement à en savoir plus.


Seulement, je note cette idée de censure qui est --si elle est vraie-- assez amusante, car tout le reste de l'album 1/ est "tout" (ce qui fait que 34 secondes de "rien" sont ironiquement inoffensives), vous comprendrez plus tard ce que j'entends par là ; 2/ est hautement sale, violent, etc., digne d'être censuré également, si toutefois de tels procédés avaient quelconque légitimité dans l'industrie du disque... Donc on aurait pu remplacer l'album par du vide. Mais au lieu de ça on a du "plein", du "trop".


Cet album éponyme de Mr. Bungle ne manque pas d'armes pour choquer le bourgeois. Que ça soit au niveau de textes, puérilement grossiers et provocants, ou des innovations musicales sorties de la tête de ces adolescents déjà plein de folie. Prendre des bouts de musique extrême, bruyante, bruitiste, empruntant au metal et au punk hardcore, des bouts de jazz, funk, ska, ambiances de films d'horreur, ou musiques de cirque, et mélanger le tout : quoi de mieux pour bousculer un peu l'auditorat ? Pas étonnant que ce premier album soit produit par le jazzman avant-gardiste John Zorn d'ailleurs.


On retrouve une inspiration zornienne dans la manière de cisailler les morceaux à la hache comme des brins de ciboulette géants. L'ensemble est déjanté. Chaque piste part absolument dans tous les sens, comme si cette bande de dégénérés essayaient d'explorer chaque recoin de leurs influences musicales en des espaces temporels très courts. Un peu comme si un peintre dessinait tout ce qu'il sait faire sur un seul tableau, mêlant les styles de la manière la plus brute. Car l'espace est au peintre ce que le temps est au compositeur. Ici, le Monsieur Bungle surcharge la toile du temps, et il le fait exprès. Il veut pousser les choses à l'excès. Il le fait merveilleusement bien. L'ensemble reste fou-furieux, et pourtant fonctionnel dans sa qualité évocatrice.


La lourdeur de cette musique ultra-chargée en idées et particulièrement énergique pourra en rebuter certains aux premières écoutes. Mais il n'est pas concevable d'abandonner l'exercice, tant l'album multiplie ingénieusement les moyens de représentation. Ces moyens s'organisent autour de deux idées communes (et liées l'une à l'autre) : l'excès total, et le vertige lié à la rapidité de l'information.


Le voyage à travers la disjonction survoltée et la folie de l'Amérique consumériste démarre avec "Quote/Unquote" (originalement intitulée "Travolta" puis re-titrée pour ne pas déplaire à ce pauvre John), une piste bizarroïde traitant d'ultra-violence sur une musique follement dissonante au contre-temps entraînant. Nous aurons alors l'occasion de faire des escales punk ("Slowy Growing Deaf") avant de nous pencher sur "Squeeze Me Macaroni", morceau funk rock rapide et ultra-énergique, n'hésitant pas à partir sur un pont r'n'b tout en passant par la case metal. Cet album, c'est un peu ça. Et pourtant, on restera toujours surpris de chaque recoin où la musique pourra partir en quelques secondes... Si bien que votre serviteur, qui comptait vous énumérer chaque inspiration de chaque morceau, décide finalement d'abandonner ce laborieux exercice tant la tâche est irréalisable. Parce que, justement, comme je le disais plus haut, cet album contient "tout", ou tout du moins contient "trop", en l'occurrence. Ce "trop" importe davantage que le contenu détaillé. C'est un "trop" évocateur, il évoque la surconsommation, exactement à l'image des paroles de "Squeeze Me Macaroni", qui énumèrent joyeusement les moyens de combler l'appétit sexuel par de la véritable nourriture


Techniquement irréprochables, les musiciens sont capables de coordonner leurs parties sur des rythmes complexes et des compositions alambiquées, à un point assez impressionnant. Le jeune Mike Patton fait également preuve d'un don encore naissant, passant d'une voix de poitrine puissante et claire à un chant nasal et comique (comme dans Faith no More à la même époque), capable également de voix graves et puissantes, de rap haute fréquence, de cris, de beuglements, etc., montrant la polyvalence nécessaire à l'interprétation de genres bien différents -- soul, rap, funk, hard rock, death metal, et bien d'autres -- et surtout de les pousser jusqu'à un excès dégueulasse. Bref, le leader idéal pour cette équipe, mais certainement pas le seul cerveau, si on regarde de près (je pense notamment à Trey Spruance).


Il n'y a qu'à écouter et constater.


En bref, un album dont l'audace n'est pas juste une audace, et la folie n'est pas juste une folie.


4 ans plus tard, le groupe sortira un deuxième album traduisant un grand changement d'orientation musicale, mais en conservant une folie certaine. Pour ce deuxième épisode, c'est par ici que ça se passe : http://www.senscritique.com/album/Disco_Volante/critique/18515817
(critique écrite antérieurement en réalité)

Créée

le 31 mars 2014

Modifiée

le 31 mars 2014

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Vilain_officiel

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