Mémorable ?

Jazzy Bazz est de retour en solo après une certaine refonte de son style musical et de son attitude sur une instrumentale, qui se présageait déjà dans les derniers singles et le sympathique Private Club. Il abandonne le chant, les thèmes plus sentimentaux, l'introspection profonde et ce coté citadin parisien avec toute l'imagerie à l'arrière qui caractérisaient l'atypique Nuit pour une formule globale plus classique. Il ne faut juste pas cependant prendre le terme classique pour un terme péjoratif puisque cela va de pair avec un retour au kickage et à un rap qui connais ses codes et les maitrise pour éviter toute excès de personnage (drogue, pute, violence pure). Un exercice dans lequel il avait déjà fait ses preuves auparavant avec une attitude hostile ou touchante et des lyrics tranchants, au vocabulaire fourni associés à un flow impactant due à sa manière d'articuler et de faire ressortir les mots. Cependant ce retour se fait par une actualisation de son identité postérieure de rappeur orthodoxe avec des productions actuelles ainsi que des lyrics qui vont droit au but, qui sont moins alambiqués mais par la même occasion plus simplistes.

Les années passent comme des heures, j'ai commencé, j'étais si jeune
On voulait copier nos idoles, j'parle des grands juste au pied de
l'immeuble, Le pera m'a révélé mais qui aurait pu parier ça ?
J'ai dû gravir les échelons un à un pour en arriver là , On doit passer à une nouvelle étape
- Destinée

Memoria perd donc malgré tout ce recul sur les lyrics ou cette certaine introspection ce qui construit finalement une image assez stéréotypée du personnage de Jazzy Bazz : Argent, richesse et réussite, sentiments toxiques. La plongée dans la mémoire et la psyché de Jazzy Bazz s'arrête au bord de la conscience. En effet, l'abordage des thématiques ne se fait qu'en surface et manque souvent les richesses que l'on pouvait y trouver. Que ce soit dans la critique de l'état vu comme un ennemi sans aucune profondeur, les banalités faussement complexes lâchées au milieu de beaux moments de rap (exemple dans Memento Mori : "Dotés de conscience, qu'est ce qui distinguera les androïdes des êtres humains ?"), on ne reste souvent qu'à cette surface dans des morceaux qui peinent parfois à toucher. Bien que la démarche soit honnête et positive, supérieure en terme de contenu à un rap-jeu qui manque de travail sur les lyrics, de flow impactant et de rap qui recherche l'effet par sa manière crue de mettre en mots les choses, l'exercice ici ne va pas assez loin ou n'est en tout cas incomplet. Il semble en effet qu'après Nuit, qui était un virage assez osé du rappeur vers quelque chose lorgnant un peu vers la variété mais complexifiait et densifiait la profondeur des lyrics, ce changement de direction perd ce qui pouvait être bon à garder pour ce projet de rap pur. La différence se fait sentir entre un Laeticia et un Sablier que ce soit dans la musicalité et les lyrics. Aucun morceau n'a le niveau de densité de Parfum. C'est pourquoi certains morceaux qui ne ressortent ni pour leur prods ni leurs lyrics deviennent simplement oubliables. Il reste néanmoins quelques pépites qui peuvent se trouver partout dans le projets, par bribes ou par blocs. Parfois par des belles phases ou un recul intéressant (sur l'égotrip par exemple dans Nouvelle 3.14, ou sur l'image de l'arme à feu dans Coeur, Conscience). De la même manière en terme de tour de force, l'introduction Mémoria marque par sa pertinence, ses beaux constats et une puissance liée à un mélange très marquant entre une instrumentale aux sonorités drill et jazz et un refrain à la Nuit.

Le temps enlève le bonheur aux enfants pour en faire des adultes
- Memoria

De le même manière les dilemmes moraux et le côté cynique de Jazzy Bazz ressort de manière impactante à chaque fois, une tradition dans le rap. Et nous revenons donc à la force de ce projet : être un véritable album de rap, construit et varié.

Envie d'tout niquer comme un premier jour d'liberté devant une putain
- Nouvelle 3.14 ( beau morceau d'ailleurs)

En effet, c'est ici que le projet brille : Jazzy Bazz est ouvert tout en restant dans son personnage et sa conception du rap. Les morceaux en feat avec Alpha Wann et Rodbloc (Nekfeu aussi d'une certaine manière mais il fait justement partie de ces morceaux qui manquent de profondeur et d'impact selon moi) sont des leçons d'égotrip et de punchlines avec une facilité et une propreté insultantes ainsi que des gros bangers bien écrits.

Philly Flingue La Fontaine, mon plumage se rapporte à mon ramage
Chaque jour, j'essaye d'pas être à la ramasse, visionnaire, j'élargis mon panorama
- Alpha Wann dans Panorama

J'cherche pas tout c'qui rapporte la monnaie, j'cherche c'que la monnaie me rapporte
- Rodbloc dans Mental

Les refrains plus chantés et mélancoliques de Edge et de Josman sont des réussites qui font monter l'album dans des touches plus légères. Il faut mentionner en plus de cela des prods de grande qualité qui invitent des instruments, selon le gout de Jazzy Bazz, comme lors du feat avec Laylow très jazz (on peut dire que tous les feats sont réussis, logiques et agréables), ou qui sont à l'origine de morceaux originaux qui permettent d'expérimenter de nouvelles choses comme Arkham Anthem ou Zone19.

J'ride jusqu'à l'aurore, tout devient presque indolore Hennessy au sol pour honorer nos morts,
Dehors à l'aurore, tout devient presque indolore
- Arkham Anthem

Bien que travaillé, varié et une attention pour les lyrics, force est de constater que la plongée dans l'esprit de Jazzy Bazz n'est pas vraiment profonde et se contente de ses simples différentes humeurs : compétitif, mélancolique ou colérique. Ce qui est à l'origine d'un bon projet qui ne marque pas assez pour un album qui mise sur ses lyrics, plus que son flow . Memoria finit par se grignoter pour n'en garder que quelques morceaux, et des bribes de souvenirs. Si je critique de manière précise le projet c'est justement car on est là face à un artiste qui a quelque chose à raconter et à faire entendre, qui travaille ses projets de manière perfectionniste et qui essaye d'élever le rap. Car Jazzy Bazz peut bien se vanter dans ses lyrics de son authenticité et de son niveau. Il n'a plus vraiment quelque chose à prouver mais quelque chose à raconter et à construire d'abouti, voire de grand. Car il y a une réelle réflexion derrière, qui sans être une intellectualisation du rap à outrance, est une manière de s'y insérer et de s'exprimer en respectant un héritage. Le rap est pour Jazzy Bazz une certaine manière de se vider et de se livrer au travers de ses sons avec un certain recul. Ses précédents albums dans son délire plus jazz et parisien étaient une réussite, à voir comment ce retour au kickage et au rap pur aboutira. Il arrivera au bout de sa 3.14, au sommet de la ville, si il continue à rapper avec le coeur et la conscience.

J'ai l'talent pour raconter la routine et qu'ça devienne chaud
J'pensais m'être frayé un chemin, en fait, c'est un circuit fermé
Mais c'est mieux qu'une thérapie car c'est moi qui suis payé
Artiste, c'est rien céder mais eux, ils pensent qu'à faire des streams et à vendre des CDs
- Dieu.