Les forfanteries électroniques de Doc Savage

Chapitre V : Lifeforms, de The Future Sound of London

Des profondeurs d’une once de fertilité imaginaire se dressent parfois de délicieux contours, conçus, châtoyants tels l’odeur douceâtre d’une folle pensée, autour d’une irrésistible désinvolture spirituelle. De ces relâchements fantasmagoriques s’échappent bien souvent d’extraordinaires peintures imagées, définies via les vagues de vertueuses rêveries psychédéliques. Tournoyante, l’implacable froideur du carré, mêlée aux pourtours chauds et infinis du cercle, transfusée de la majesté du triangle-roi, le tout dans un mélange de couleurs oscillant entre le rose, le jaune, le bleu et le vert, affirme les songeries abstraites explorées. La jungle hallucinogène se dessine : le soleil, dont la luminosité est boutée par le sombre halo feuillu de l’éminente flore, n’éclaire que de brèves saillies les arbres orangés, lesquels sont fleuris d’horreurs aux dents acérées, et la faune embusquée dans les abysses humides des hautes herbes.

Qu’il est reposant de s’activer autour de l’ataraxie sauvage du psybient lorsque ce dernier est de qualité, lorsqu’il ne se perd pas dans la surenchère psychédélique inhérente à beaucoup d’autres œuvres du genre. Bien avant Shpongle, avant même Hallucinogen, The Future Sound Of London s’inspire des originalités d’Ozric Tentacles et de l’ambient psychédélique qui, à l’époque, développe de sa neurasthénie colorée son déploiement dans les sphères trance de l’underground mondial. Au fil des années, Lifeforms s’est imposé en tant que création la plus frappante de la discographie du duo composé de Brian Dougans et Garry Cobain. Certainement est-ce dû aux participations sporadiques de légendes au sein du processus de composition et d’enregistrement : Ozric Tentacles, Klaus Schulze, Robert Fripp ou Talvin Singh associent leur nom à ce deuxième album. Inutile de présenter les trois premiers. Le dernier nécessite quant à lui une introduction poussée. Car Talvin Singh, malgré son anonymat relatif, est un multi-instrumentaliste bien connu de nombreux studios du monde entier. Tapi dans l’ombre, il participe à l’élaboration de quelques uns des grands disques du début des années 90. Harpe pour le Debut de Björk, percussions et chœurs sur Superstition de Siouxie and the Banshees, puis tabla sur Lifeforms... Les premières apparitions du jeune londonien d’origine indienne augurent une carrière originale et reconnue, lui valant d’ailleurs par la suite de collaborer avec Madonna, Duran Duran ou David Sylvian. Le rat de studio par excellence. Lorsque Brian Dougans et Garry Cobain l’engagent pour Lifeforms, ils savent qu’il jouera un rôle primordial pour l’élaboration de l’ambiance humide et tropicale souhaitée. Le tablâ est un percussif singulier, bien aimé de son spécialiste des années 60 Sam Gopal, dont la chaude résonnance laisse entrevoir des paysages dont le peu de réalisme n’a d’égal que l’urbanisme qu’il laisse entrevoir. Loins des folies ghettoïsantes de Prodigy, les champs musicaux sont ici tapis de couleurs verdoyantes, de sombres profondeurs amazoniennes.

Malgré la présence d’invités aux personnalités artistiques très marquées, le duo maintient une cohérence certaine tout au long de cette œuvre pourtant folle, démesurée, inclassable. Par la suite, notamment avec Dead Cities, il prend une direction cyber-punk plus ésotérique. Moins accessible et moins rêveur, peut-être aussi plus ancré dans une réalité assourdissante, il n’atteint pas le niveau de ce Lifeforms aux allures de révolution.
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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