Le Voyage dans la Lune (OST)
6.8
Le Voyage dans la Lune (OST)

Bande-originale de Air (2012)

Rares sont les personnes à avoir foulé les étendues basaltiques de la Lune. Rarissimes sont celles qui l’ont fait à plusieurs reprises. A notre connaissance, seuls Nicolas Godin et Jean- Benoît Dunckel, les deux commandants de bord du vaisseau Air, ont eu cet insigne honneur. La première fois, c’était en 1998, pour l’enregistrement de Moon Safari. Un incontesté sommet d’electro populaire, toujours plus vertigineux à mesure qu’il s’érode. Mais aussi une antithèse de ce disco de science-fiction que l’histoire a retenu sous le nom de French Touch et dont le duo fut, à l’époque et en dépit de toute logique, l’ambassadeur le plus courtisé. “C’est encore un mystère pour nous, d’y avoir été associés alors qu’on ne faisait pas du tout de la musique de club. Ceci dit, toute notre bande de copains de l’époque, Phoenix, Daft Punk, Sébastien Tellier, cultivait des univers très différents les uns des autres. On a tout de même eu beaucoup de chance d’être portés par ça : depuis Moon Safari, il n’y a pas un seul side-project dont nous sommes à l’initiative. Y compris celui-ci.” Celui-ci, c’est Le Voyage dans la Lune, deuxième séjour en territoire sélénite, planifié à la faveur d’une commande de la fondation Groupama Gan pour le Cinéma, de la Fondation Technicolor et des désirs de Serge Bromberg, aux manettes du projet. Grand manitou de la restauration cinématographique, le directeur de Lobster Films s’est en effet dit que, quitte à passer plus de dix ans à retaper la version colorisée du séminal court métrage de Georges Méliès, il aurait été petit bras de ne pas pousser jusqu’au bout cette logique de remise au goût du jour. Au risque que les principaux intéressés se retrouvent incriminés pour profanation. “C’était intimidant, mais on a besoin de ça. On a besoin d’excitation, de stimulation. En contrepartie, on avait carte blanche. Non seulement parce que, les délais étant très courts, on savait que personne n’allait avoir le temps de donner son avis, mais aussi parce que Méliès n’ayant pas conçu l’original avec une bande-son, on n’avait pas l’impression de trahir un héritage. Et puis à la différence des films sur lesquels on a travaillé auparavant, le montage était fixé. C’est très déprimant pour un musicien de fabriquer une musique pour une scène et d’apprendre le lendemain qu’elle a été rallongée, qu’elle a été supprimée… Tout s’effondre, le travail effectué perd son potentiel. C’était une occasion unique qui ne se reproduira sans doute plus.” Soumis au jugement du gotha du septième art au dernier Festival de Cannes puis diffusé en avant-programme du Hugo Cabret de Martin Scorsese, le résultat laisse pourtant espérer qu’il ne restera pas sans lendemain. Esquivant les tartes à la crème inhérentes à l’exercice (“du piano bastringue, on aurait trouvé ça glauque”), soulignant le psychédélisme latent de ce film aux airs de dessin animé live, la bande originale composée par les deux Versaillais est un tel triomphe qu’on ne serait pas surpris de la voir interprétée à la Cité de la Musique. Pas mal pour deux types qui, comme la plupart de leurs contemporains, ne connaissaient auparavant de Méliès que l’image de notre satellite avec une fusée dans l’oeil droit : “On connaissait le film sans le connaître. On était plus familiers avec le travail de cinéastes et publicitaires s’étant inspirés de Méliès, comme Terry Gilliam. C’était un peu poussiéreux comme cinéma pour nous, le genre qu’on regarde pour se cultiver plutôt que par intérêt. La couleur nous a donné un nouvel angle d’appréciation, et on voulait que notre musique fasse de même. On voulait quelque chose de très émotionnel et artisanal, mais qui ne soit pas désuet et obsolète dans quinze ans.” Quant à l’adéquation entre ces intentions et leur concrétisation, elle tient simplement au fait que, entre les deux trips spatiaux de Godin et Dunckel, durant ces treize ans où, pour le meilleur (10,000 Hz Legend, Talkie Walkie) et pour le pire (Love 2, Charlotte Gainsbourg), ils n’ont eu de cesse de se remettre en question, l’astre préféré des amateurs de paréidolies, ce type d’illusion qui fait apparaître des visages sur des cratères lunaires, n’a pas changé : “Quand on a fait Moon Safari, on découvrait l’envers du décor. Il y avait une sorte de fraîcheur, qui par définition ne pouvait être qu’éphémère. Méliès a ramené de cette fraîcheur, de cette innocence.” Au-delà des 13 minutes et 56 secondes de matière sonore requises, Air y a puisé de quoi signer, de marches baroques (Astronomic Club) en rêveries sidérales (Moon Fever) et de funkeries low-tech (Sonic Armada) en tubes indie-pop muets (Parade), un album magistralement fantasque et tangible. (inrocks)


Depuis son premier disque “Moon Safari”, Air ne cesse de faire débat, ardemment défendu qu’il est par les mélomanes sensibles à son electro pop, décriés par d’autres qui lui reprochent souvent une musique trop naïve et précieuse. Alors qu’il est aujourd’hui difficile pour ces derniers de se plonger dans un de ses albums sans imaginer se retrouver prisonnier de ces miteux ascenseurs à moquette murale et au néon défaillant, le duo ajoute une nouvelle corde à son arc. Comme indifférent à la critique, il exploite cette fois au maximum le côté cinématographique de sa musique: ici, il ne signe pas seulement une bande originale comme il l’avait fait pour “Virgin Suicide”, mais compose l’intégralité de l’accompagnement musical de la version restaurée du premier film de science fiction de l’histoire du cinéma: “Le Voyage Dans La Lune”, l’oeuvre universelle que Méliès signait il y a…110 ans. Ainsi, Air ne provoque plus les images, mais se les impose: une nouvelle approche qu’on pensait capable de révolutionner sa musique. Il n’en est rien, même si ce disque souligne quelques franches réussites qu’il faut savoir reconnaitre. En effet, bien que trop à son aise dans ce genre d’exercice, Air parvient à rendre son oeuvre assez vivante pour jouer de cohérence avec la démarche de Méliès. Et, c’est une certitude, le mélange d’instruments actuels et anciens (mellotron et guitare électrique par exemple) y est incontestablement pour quelque chose, preuves en sont les meilleurs passages du disque (”Seven Stars”, “Parade”, “Sonic Armada”, “Cosmic Trip”) qui ne revaudront rien aux participations de Beach House ou Au Revoir Simone. De là à admettre que “Le Voyage Dans La Lune” est indissociable du film qu’il accompagne (”Moon Fever”, “Who Am I Now?”), il n’y a donc qu’un pas que les détracteurs de Air franchiront certainement. Et s’il faut avouer que le duo parvient parfois à nous faire hésiter, il n’est une nouvelle fois pas assez convaincant pour nous empêcher de rejoindre le rang des sceptiques. (mowno)
Au lieu de signaler que Air s’éloignait de la pop tendre et euphorique de ses débuts et versait désormais dans le design sonore, distant et conceptuel, les albums Pocket Symphony (2007) et Love 2 (2009) donnaient simplement l’impression que le duo avait naturellement vieilli. Il signait maintenant de véritables œuvres, considérables pour les uns, rasoirs pour les autres. À ce titre, la composition d’une musique accompagnant la version colorisée et restaurée du film muet Le Voyage Dans La Lune (1902) de Georges Méliès est un projet qui tombe à point nommé. Obéissant à une commande (sonoriser un film qui est une féérie cosmique et burlesque), Air donne l’impression à ses détracteurs de sortir de son élégante tour de verre. Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin ont enregistré dans les conditions du live, sans utiliser trop de boucles et avec le recours du Mellotron, l’ancêtre du synthétiseur, pour les bruitages. Il sonne comme régénéré, à nouveau gamin et en accord avec les fondements du travail de Méliès, mais aussi du merveilleux Hugo Cabret de Martin Scorsese, qui rend hommage au cinéaste français : il est nécessaire de rester magique pour supporter la vraie vie. Autrement dit, les gens vieillissent quand ils arrêtent de s’amuser. Tout à fait interpellé par les séquences hallucinogènes de ce voyage lunAIR, où des champignons géants en carton-pâte côtoient des astronautes avec haut de forme, redingote et parapluie en guise de combinaison spatiale – un bazar qui rappelle les pochettes de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967) des Beatles ou Their Satanic Majesties Request (1967) des Rolling Stones, le duo conçoit une bande-son ouvertement psychédélique. Elle est parfois surf et ponctuée par la voix elle-même étrange de Victoria Legrand de Beach House (Seven Stars). L’objectif lune est donc atteint : cette musique décolle absolument, et sa fantaisie est irrésistible. (magic)
Singulière histoire que celle de ce septième album d’Air. Trois semaines avant l’ouverture du dernier Festival de Cannes, le portable de Nicolas Godin, moitié du duo versaillais (notamment chargé des cordes), vibre. Une voix propose d’habiller musicalement le court métrage de Georges Méliès, le Voyage dans la Lune, dont la restauration et la colorisation venaient de s’achever. «Le lendemain, j’en parlais à Jean-Benoît [Dunckel, autre moitié d’Air, ndlr]. Le surlendemain, on commençait à travailler.» Voilà comment est née la BO de ce film de science-fiction mis sur orbite en 1903, biberonné par Jules Verne (De la Terre à la Lune) et Herbert George Wells (Les Premiers Hommes dans la Lune). Douze ans après la première illustration musicale signée par Air pour le long métrage de Sofia Coppola, Virgin Suicides. Le résultat est bluffant, qui offre une dimension inédite à ce film (de fait) quelque peu daté et à ses tableaux revigorés par la grâce de la colorisation. Alors, osons : avec cette instrumentation mêlant synthés, piano, cordes électriques et acoustiques, batterie et percussions diverses, l’œuvre de Méliès est désormais regardable sans bailler, ce qui n’est pas rien concernant cette fable prédadaïste qui a moyennement bien jauni.«Cratères». L’urgence dans la création de cette œuvre musicale est manifeste, au bon sens s’entend. Si l’univers du binôme est parfaitement vivant, le superflu n’enfle pas ce travail illustratif qui correspond au mieux à ce Voyage dans la Lune. Le processus créatif n’a pourtant pas collé aux canons habituels du groupe : «On a reçu le film le lundi, et immédiatement on a commencé à faire de la musique sur la première scène, raconte Nicolas Godin. Mais, dès la deuxième scène, on s’est aperçus qu’on ne pouvait pas réutiliser ce qu’on avait fait pour la première, contrairement à un film normal où tu peux poser un thème et le faire évoluer tout au long du film en l’orchestrant différemment. Là, les séquences se touchent, donc il y avait de la redondance.» L’ennui n’était pas loin. «Pour chaque scène, on a composé une musique différente, avec une nouvelle humeur, un nouvel état d’esprit, une nouvelle mélodie, une nouvelle gamme, une nouvelle grille… Et, à la fin, on s’est aperçu que ce qu’on avait produit faisait vraiment album. Alors, on s’est dit : "Tiens, on a un fait un disque !"» Et voilà comment ce qui devait n’être qu’une bande musicale de film primitif de quatorze minutes est devenu un album de onze titres distincts, essentiellement instrumental - à l’exception de trois morceaux chantés par des invités. Soit le collectif américain Au Revoir Simone («On a tourné un an avec elles, on les adore») et Victoria Legrand, nièce du célèbre Michel, chanteuse du groupe Beach House : «Pour nous, Terriens, ce qui ressort de la Lune c’est ce côté minéral, les cratères, les cavernes. On voulait donc une voix qui vienne du fond des âges. Et on trouvait que Victoria possède cette voix-là. On n’a jamais fait de featuring en fonction des noms, en se disant : "On va prendre machin parce que ça fera branché".» Déambulation. Septième réalisation studio du couple Dunckel-Godin, le disque planant sur ce Voyage dans la Lune convoque un psychédélisme electro-pop rêveur, souvent éthéré, parfois gothique ou barré. A l’image du quatrième titre Parade, cavalcade électrique de percussion et de sons mêlés. Ou Moon Fever,déambulation onirique et rêveuse. Et encore Sonic Armada, morceau totalement inclassable, qui résume l’univers de cette formation inventive et courageuse dans la création et son goût du jeu (au sens ludique). Quant à Who I Am Now ?, porté par des guitares inquiétantes, il offre une poésie mystérieuse et trouble, donc précieuse. Car rare dans ces contrées electro formatées ou inutilement délirantes et grossièrement bavardes, voire body-buildées (n’est-ce pas Justice, avec sa dernière commission Audio, Video, Disco?). Pourtant, si cet album dépasse largement les frontières de l’exercice BO, tout en épousant ses contours au cordeau - certaines musiques du film ne sont pas dans l’album, et vice-versa -, ce n’est pas un hasard : «On n’a jamais cherché à faire de bandes-son, pas plus qu’on n’a surfé là-dessus pour entamer une carrière de compositeurs de musiques de films. Ce n’est pas un truc qui nous fait fantasmer. En revanche, ce que l’on fait est vraiment influencé par les BO», avoue Nicolas Godin. Qui, à la question «est-ce plus facile de composer à partir d’un support visuel ou sans ?», répond : «C’est beaucoup plus simple. Parce qu’on n’a pas la page blanche. C’est un luxe infini.» (libé)
bisca
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le 10 mars 2022

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