La Solitude
8.1
La Solitude

Album de Léo Ferré (1971)


Chapitre 1 : La Solitude



J’errai tel un chien, dans les corridors de l’ennui, par-deçà des salles de classes qui crissent, d’où s’envolent la craie, la poussière travailleuse, de ce travail de cheval licol-porteur, où l’on ne se rend compte qu’on fonce dans un mur que lorsqu’on l’a pénétré de part en part.


J’étais alors ; aux bons vœux de la société intellectuelle et géométrique ; élève préparationnaire, ou taupin, mais attention - taupin d’excellence, et de présentoir : magnaludovicien provisoire, de prêt uniquement, le proviseur ne tardant pas de nous rappeler « l’erreur » qu’on était, les derniers des premiers, avant de nous congédier sans le moindre sursis, de peur d’entacher sa -combien Ô grande- réputation, sa petite médaille d’un rouge craie social qu’il fait bon de présenter aux prochains, histoire d’attiser les jalousies et de faire envier les envieux ; futurs polytechniciens, centraliens, normaliens, ou cyniciens ; futurs suicidés parfois, « élite » de la Nation, avec un N majuscule comme Norme autrement.


De jour en jour, Rien, si ce n’est des données chiffrées, des règles qu’on te renfourgue dans le cerveau, des démonstrations non contestables, non contestées, et des khôlles qui tapent plus que l’alcool mauvais d’un morgue vendredi soir.


C’est alors que je le vis. Lui, avec ses grands cheveux-fantômes intangibles, grand esprit miséricordieux de la solitude des libres et libertins, qu’il me parla pour la première fois :



Je suis d’un autre quartier que toi.



D’une autre solitude.



Je me fais à l’idée que j’ai de ma biologie ; je suis mort, et pourtant
jamais davantage je ne serais vif dans ton cerveau bilatent ; un côté
t’étant réservé à composer tes éternelles matrices, l’autre pour tes
chagrins particuliers.



Je ne comprenais pas : dites-vous bien que jusque-là, les palabres qu’on me donnait pour toute fange d’abattoir (les grandes prépas peuvent être un abattoir, je ne le crierai jamais assez haut -préférez-leur un cadre préférable, à ses cochons qu’on engraisse de déductions de l’absurde par l’absurde) étaient définies, certaines et objectives ; en dehors de la Musique, complétant ma solitude, et de ce temps, de R.E.M., Thiéfaine, et mes premiers pas dans la sous-race du Post Rock, par l’entrée la plus pure et raffinée qui soit pourtant (Talk Talk).



Talk Talk tu dis ? Mais toi, parle -PARLE DONC !- et jamais ne reste
immobile, sur pied, à te laisser décanter dans le désespoir.



Je commençai à comprendre - prendre plutôt- et admettre.


Les mots étaient des armes, comme seul secours à la violence des chiffres, commençant par me réduire à rien (zéro, 0, NADA) pour y laisser au cul la partie inférieure des quotas livrables/livrés/dégueulasses auxquels, après tout, il fallait bien se soumettre, non ?


Ça faisait, en quelque sorte, partie du contrat ; comme les mêmes traditions voulaient qu’on Khuiss, qu’on Krass, qu’on hurle au vent


« HX !! »


on qu’on dérobe dans de grands éclats d’un stupide élan, un peu comme ça :



«)-----)(^(^(_- j »



; les pinèdes de la gloire sur les marches des gloires enterrées, en haut de la butte (une montagne, ça ? laissez-moi rire jaune, du jaune pisse des clochards qu’on croisait en allant chercher la gloire au bout des équations, entre le lieu de repos stressé et le lieu de travail stressant).


Et Ferré est arrivé. Je ne l’ai que peu remarqué, alors, il a percé une bulle, mais l’air d’un printemps de liberté ne me remonterai que plus tard les naseaux. Je l’oubliai, un moment ; j’y reviendrai, comblé et touché de grâce, plus tard, après 365 nouveaux jours à taper du stylo sur des tableaux lustrés, accompagné par des camarades de galère dans la mer


…de


d’une MP enrichissante ; la prépa n’est pas un mal, quand le maître sait ne pas le rester, et devenir simplement aide disponible et conciliante.

Rainure
7
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Créée

le 21 avr. 2016

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Rainure

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