L.A. Woman
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L.A. Woman

Album de The Doors (1971)

M'y voilà, 5 ans après avoir écrit la critique du premier album de The Doors, à l'époque sur un ordinateur de CDI de mon lycée ; 5 ans après j'aborde mon album préféré du groupe, sur mon propre ordinateur, et j'écoute toujours ce son si caractéristique.
"L.A Woman" ne fait pas du tout ultime album ; d'ailleurs, malgré ses déboires, son exil à Paris et sa volonté de changer radicalement de voie, Morisson n'a jamais exclut de revenir à la musique. Pourtant, le disque est bien sorti 4 mois avant la mort de ce leader (bien que ce n'était plus que de nom depuis bien longtemps) ; lui qui enregistra l'album depuis les toilettes (rigolez pas c'est plus fréquent qu'on le pense, Renaud notamment - ça isole bien un cabinet), signa vite fait les réglèmentaires avec une main tenant fermement sa bouteille de whisky, et s'envola avec Pamela Courson, découvrir les nuits Parisiennes jusqu'à la dernière. Sur cet album, hormis son ultime titre qui fait justement anachronique (mais une anachronie sublime), aucune trace de ton solennel. Même les musiciens jouent comme si tout allait bien, alors qu'ils jouaient presque contre leur chanteur. Encore des mois après sa mort, Manzareck croira voir Morisson un peu partout, et le batteur John Densmore prit un bon moment à l'admettre lui aussi. Comme s'il s'était volatilisé, pouf comme ça. Alors que bon, si vous avez vu le dernier concert capté du groupe... Morisson s'aggrippe à son micro comme s'il allait tomber à chaque instant. Il ne se voyait pas lui-même atteindre les 30 ans. Impossible lorsque son ventre est aussi furieux, et mouvant.
Et pourtant, malgré tout cela, ces prémonitions simples, l'album est joyeux dans son ambiance. Mieux, il rassemble tout simplement le meilleur de chaque musicien. Le clavier de Manzareck sur cette magnifique ouverture qu'est "The Changeling" est complètement jouissif, à inscire auprès de "Light My Fire" et "When's The Music Over" dans ses partitions les plus entêtantes. La guitare de Krieger, très blues, complètement dans son élément, est aussi efficace dans la retenue ("Been Down So Long") que dans ses dérives étendues ("Hyacinth House"), et nous offre même son meilleur riff, tripant et juste hanté : "America". Ce titre qui a pour particularité d'être clairement très enregistré en avance par rapport aux autres morceaux ; il suffit de bien écouter la voix de Morisson. Entre le premier album et celui-ci, la voix de ce dernier est tout simplement passé de l'aube au crépuscule. Elle s'est barbouillée à son image, elle s'est dramatisée davantage aussi, tout en gardant l'intensité originelle, notamment lors de ses cris. Je trouve que sa voix n'a jamais été aussi forte que sur ce disque. Mais dans "l'America", on est bien dans un entre-deux, et même dans une diction assez proclamatrice, comme surgie d'un autre espace, d'un autre temps. La batterie de Densmore, quant à elle, propose lui aussi des couleurs très différentes, passant du tube immédiat comme "Love Her Maddly" à l'exigence jazz de "Cars His By My Window".
A part "Crawling King Snake" en fait, qui est en-dessous des autres selon moi, c'est comme si on avait droit à un best-off, où le blues, le psychédélisme, et le style Doors symbiosent ultimement, mais également comme si les années 70 s'ouvraient en saluant les années 60. Deux morceaux, bien sûr, se démarquent encore plus sur cet album, pour figurer comme des chefs d'oeuvres intemporels. De l'avis même de Krieger, "L.A Woman" incarne tout ce que les Doors peut offrir de mieux : une atmosphère ultra-cool (idéale en voiture), des musiciens très inspirés et jouant totalement en osmose (superbe solo de piano !), plusieurs paysages au sein d'un texte de Morisson évoquant tous ses thèmes de prédilections, explicitement ou implicitement ("Mr Mojo Risin" final : son surnom officiel dans les bars !), une pièce énergique où les 7 mn 50 auraient pu durer bien plus longtemps sans que l'on se plaigne. Une invitation au voyage à plusieurs, pour plusieurs destinations, dans une ambiance où tout peut commencer ! L'autre chef d'oeuvre, décrit exactement le sentiment inverse. Un voyage solitaire, pour une seule destination, là où tout va se finir. Sous l'orage, sous les pluies qui se mélangent avec les larmes, trainant les visions dans la boue étalée sur la route, "Riders on the storm" ne se voit pas venir lui-même. Pourtant, "Wasp" ne parle pas de radio pour rien ; mais personne ne prévient que la radio se coupe, tout comme personne ne pouvait être prévenu du caractère testamentaire de la chanson a posteriori. Un charme fascinant et étrange s'en dégage alors, comme un parfum paisible de mort. Morisson se fait fantôme, il vole déjà. Manzareck et Krieger appuient de leurs solos mélancoliques, eux-mêmes ne sachant pas où tout cela mène, ni quel est le sens de cette carrière étoile filante, mais eux tous savent une chose en jouant cette chanson : c'est que les portes de la perception se referment, sans nul autre témoin que Dionysos.
"L.A Woman" est un disque qui a donc beaucoup de facteurs, de rôles différents qui le rend unique, à la fois dans leur discographie et dans le rock du début des années 70. Comme un tueur sur la route, il va et vient au gré des oreilles, avec sa légende, son histoire, sa personalité hors des frontières, et même s'il ne fait qu'y passer, il ne laisse jamais la voiture rouler comme avant. Gloire aux Doors.

Créée

le 3 déc. 2022

Critique lue 37 fois

4 j'aime

Billy98

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