Karma
8.2
Karma

Album de Pharoah Sanders (1969)

Je sens que je vais me faire des ennemis par le biais de cette note et de cette critique. Mais voyant que l'album culmine à 8,5 de moyenne et 9,1 chez mes éclaireurs je me sens obligé d'exposer mon avis.

Malheureusement je ne suis pas un expert de jazz, tout au plus un connaisseur léger, donc je vous invite à signaler mon manque de culture dans les commentaires, si possible saupoudré d'un peu de mauvaise foi que je puisse râler.

Alors Pharoah Sanders c'est qui ? C'est un saxophoniste de jazz américain.
Quel style fait-il ? Du free jazz teinté de be-bop et d'hard-bop.

Plusieurs points m'ont fortement agacés dans cet album et pour mieux vous expliquer ça il faut revenir aux origines et à ma perception du free jazz.
Le free jazz est un style créé dans les années 50/60 par des musiciens qui en avaient marre des limites établies par les genres dominant des années 40/50... le be-bop et le hard-bop (oui, vous commencez déjà à voir le problème que j'ai avec Kharma).
Des artistes comme Eric Dolphy, Charles Mingus ou encore Sun Ra s'appliqueront à chercher les très vastes limites de ce style et permettront aux gens de définir un peu cette musique. Enfin, je cite ces trois artistes mais il y a eu beaucoup d'autre pionniers que je ne cite pas pour la simple raison que je ne les ai jamais écouté.
Je sens des regards inquisiteurs. "Tu n'as jamais écouté de John Coltrane ?"
Si si mais sa carrière se limite à quelques albums free jazz en fin de carrière après que les pionniers soient passés. Des albums assez courageux en soit et de bonne qualité (enfin... faudrait que je les écoute à nouveau pour pouvoir faire un jugement plus clair) mais clairement pas cruciaux dans le mouvement free jazz.

Par contre il semble assez évident que Coltrane a été très important pour Pharoah Sanders qui arrive avec un album de free jazz bien après les artistes que j'ai mentionné plus haut. Et je trouve l'album mauvais autant sur le fond que la forme. Musicalement c'est pas mauvais mais ça n'atteint pas une seule fois la virtuosité d'artistes comme Sun Ra ou Charles Mingus 15 ans plus tôt. Il n'atteint pas non plus la beauté de son père spirituel John Coltrane. Et pour parler de musique contemporaine à Kharma on ne peux pas tenir la comparaison à côté de groupes comme Fela Kuti.
D'ailleurs le côté bebop de l'album l'empêche régulièrement de montrer le talent musical qu'il a certainement.

Mais la musique est loin d'être de mauvaise qualité pour autant, le plus gros soucis de l'album se situe pour moi sur le fond.

Revenons un peu sur ce que j'ai dit sur l'origine du free jazz, j'ai dit que c'était une musique faite par lassitude face à la musique en vogue dans les années 40/50 et c'est pas totalement juste. Le free jazz c'est avant tout un cri de rage, une libération culturelle.
Dans les années 50 les blancs s'approprient et vulgarisent la "musique de noir" des années 50 (soul jazz, bebop, hardbop, etc...) sans pour autant que les noirs soient mieux acceptés dans la société. Il est temps pour une poignée d'artistes de pousser le cri de rage dont je vous parlais avant et de réclamer une "identité noire". C'est donc une musique sociale et culturelle.
L'on retrouve réellement une rage dans de nombreux albums de free jazz de l'époque. Charles Mingus, dans "Pithecanthropus Erectus" en 1957 fait sonner son instrument comme une voix à la recherche de liberté, une voix révoltée.
Petit détail marrant. Même si la société (et pas qu'américaine) a quelques problèmes de couleurs et que beaucoup de musiciens se posent des questions identitaires les groupes de free jazz ont toujours été très tolérants. Pour preuve il y a régulièrement des musiciens blancs parmi ces groupes. On retrouve là un paradoxe très intéressant de musique avec de nombreuses ethnies mais à la recherche d'une identité noire.

Bref, Karma. Où est passé cette rage et cette recherche d'identité dans l'album ? Aucune idée. Pendant 40 minutes il nous parle d'amour et de paix avec, je pense, honnêteté mais en mettant de côté les 15 dernières années de révolution culturelle. Avec un titre de chanson bibilique (The Creator has a master plan) et un message de paix et d'amour il met encore une fois en avant le côté bebop de ses titres.

Vous l'aurez compris pour moi le fond et la forme se heurte à un problème simple mais important : la rencontre entre le bebop et le free jazz. Les deux étant basés sur des éléments radicalement opposés autant musicalement que culturellement. Face à une telle opposition de style l'un des deux prends le dessus et là c'est le bebop.

Moi je préfère le free jazz et je suis énormément déçu à l'écoute de cet album car il aurait pu être vraiment bon mais malheureusement il est juste meilleur (à mes oreilles) que beaucoup de disques de bebop. Et c'est pas un grand compliment.

Si vous avez lu jusque là j'espère que vous aurez compris que mon but n'est pas d'expliquer en quoi l'album est mauvais, je ne pourrais pas me le permettre, mais d'exprimer mon désarroi et ma déception.

Ps : D'ailleurs le titre The Creator has a master plan est correct, entre autre grâce aux vocalises qui apportent un vrai charme. Par contre le deuxième titre Colors n'a vraiment aucun intérêt pour moi et ramène l'album à une note moyenne. D'ailleurs Colors n'a plus rien à voir avec le free jazz. Pas d'improvisation possible, pas de cassures de rythmes, etc. Et bien sur on ne ressent pas une seule seconde le côté revendicatif du mouvement mais ça c'est valable pour la très grande majorité de l'album.
Diionysos
5
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le 16 févr. 2015

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