Interstellar (OST)
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Interstellar (OST)

Bande-originale de Hans Zimmer (2014)

Ahhhh... Ce cher Hans Zimmer... Bien que depuis quelques années je ne puisse renier une certaine déception vis-à-vis du travail abattu par ce compositeur prolifique et régnant sur la musique hollywoodienne moderne, travail récent qui relève plus du design et du mixage sonore que de la véritable composition orchestrale, avec seulement quelques coups de cœur injustifiés dispersés par-ci par-là (notamment les partitions écrites pour Man of Steel et Lone Ranger, pourtant peu appréciées des autres amateurs du genre), je dois bien avouer que c'est par lui que mon amour immodéré de la musique de film, et par extension de la musique classique, a débuté. Car oui, bien que, déjà, petit, je trouvais cool les petits bruits de fond qui accompagnaient les escapades des DeLorean, Faucon Millenium et autres T-Rex, je ne me rendais pas bien compte à quel point c'étaient ces petits bruits qui étaient les vrais porteurs de l'émotion et de la magie du cinéma. Et à quel point, leur écoute, même sans les images qu'ils illustraient, pouvait continuer à véhiculer cette magie et cette force évocatrice au quotidien, et même parfois donner un sens à ce quotidien. Oui, car ça, j'ai commencé à m'en rendre compte quand ma grande soeur, lasse d'écouter en boucle, comme toute les filles de son âge de l'époque, la bande originale de Titanic depuis 2 ans, s'est payé celle de Gladiator. Et elle l'a écoutée. On l'a écoutée. Je l'ai écoutée, encore et encore. Il y a eu comme un déclic, j'ai compris que c'était ce genre de musique qui me frissonnait le poil et m'enthousiasmait le sang, et que toute autre style pourrait me plaire, mais jamais me procurer un tel frisson de plaisir. Ce frisson que je ressens chaque jour à l'écoute de la musique orchestrale. Alors pour ça, même si j'ai quelques conflits sentimentaux avec lui dernièrement, il occupera toujours une place particulière dans mon cœur, cet allemand mal-aimé. Et puis faut bien avouer qu'à l'époque, entre le Roi Lion, le Prince d'Egypte, The Rock et autre Ligne Rouge, ça avait quand même bien de la gueule, ce que nous pondait tonton Zimmer. Et puis, comme je disais au début, le coup de mou, la lassitude, la tentative d'un nouveau style froid et insipide, aux alentours de Batman Begins grosso merdo je dirais. Un nouveau style qui a même quelque peu redéfini la musique de film, à mon plus grand désarroi.
Mais ! Ô quel surprise ! Voilà qu'il tente avec Interstellar un virage orbital. Je suis bien loin d'avoir les bagages suffisants pour affirmer que ce virage a amené vers une originalité jamais entendue, mais en tout cas ça a sonné nouveau dans mes oreilles. Pas vraiment minimaliste, pas vraiment Glassien, comme j'ai pu le lire ponctuellement. C'est trop riche pour être minimaliste. C'est... différent. Et ça faisait un moment que j'avais pas vraiment eu envie de réécouter inlassablement un album de mon petit Hans. Et cette composition, qui n'avait pourtant rien pour me plaire, m'a totalement fasciné et envoûté.
Fasciné et envoûté à tel point que ça me pousse à écrire cette critique, ma première d'une bande originale, ce qui est plutôt surprenant quand j'y pense, vu la place que celles-ci occupent dans ma vie. J'étais parti dans l'approche du ressenti et de l'appréciation, mais ça a dérivé vers l’approche analytique. Analyse de comptoir évidemment, parce qu'on peut pas vraiment dire que j'ai la crédibilité d'un musicologue.

L'album s'ouvre sur le morceau "Dreaming of the Crash". Après un vent qui nous évoque les tempêtes de sable qui en font sacrément baver à l'humanité dans le postulat de départ, débutent quelques notes presque divines qui d'ores et déjà nous indiquent l'ambiance qui se dégagera du film. Plus qu'une ambiance, c'est une atmosphère qui s'en dégage. Une stratosphère même. J'ose.
Puis vient "Cornfield Chase", où des nappes vaguement identifiables comme des bois distordus, une recherche sonore vraiment particulière, donnent naissance au premier passage marquant. Je pense que c'est ce genre de sonorité qui a pu rappeler le travail de Glass, mais c'est beaucoup moins épuré, beaucoup plus fourmillant et scintillant. Et ça progresse, ça monte en puissance avec les arpèges d'orgue. S'en dégage une sublimation de la scène de poursuite éperdue au travers des champs de maïs, symbole de l'Amérique profonde et fondatrice. Ensuite "Dust" nous offre premièrement quelques mélopées voluptueuses, intrications de chant lointains et de cordes, mélopées mystérieuses, intrigantes, presque cinglantes, presque menaçantes. Comme ces tempêtes qui rongent la vie sur Terre. Comme ces fantômes qui hantent les pensées de Murphy. Au bout de 2m20, orgasme auditif sur ce que j'appellerai le deuxième thème fort. Mon préféré je dois bien le reconnaître. Enivrant, transportant. La deuxième répétition vers 3m10, cette fois accompagnée de notes profondes au violoncelle, est totalement sublime. Mais cependant trop courte. On aura fort heureusement quelques rappels de ce moment musical, sans pour autant tomber dans la redite. "Day One", quant à lui, débute sur un procédé dont Zimmer aime se servir - notamment dans "Mind If I Cut In ?" de Dark Knight Rises - pour souligner les scènes poignantes et émouvantes. Une simple note qui se répète continuellement en basse, à laquelle s'ajoute une mélodie extrêmement simple mais extrêmement efficace d'un piano au son admirablement travaillé pour donner un volume et une consistance presque murmurés à sa réverbération. Puis, petit rappel des arpèges de Cornfield Chase, aux cordes cette fois, qui se mélangent parfaitement à la mélodie au piano. Très léger, très aérien. Enfin, vers 2min, apparaît le troisième motif sonore qui se retrouve à certains moments-clé, pour le moment simplement évoqué.

"Stay". LE morceau émotionnel d'Interstellar. De nouveau, ce souffle de tempête sonore, quand soudain retentit le son glaçant d'une cloche. Un flottement, un errement, s'installe ensuite durant quelques minutes, perdu entre un son gras et continu, et son opposé à l'orgue et aux voix humaines. Puis un tapis de cordes enveloppe le tout dans une montée d'accord saisissante. C'est l'égarement, c'est la détresse. Le désespoir d'une fille effrayée à l'idée de ne jamais revoir son père. Le tout évolue progressivement vers une rage sonore pleine de puissance, dans une ellipse temporelle régulée par le compte à rebours d'une humanité qui s'éteint et porte ses derniers espoirs dans le décollage salvateur de cette navette. Plus qu'un espoir, c'est même une plainte, une supplication, une imploration qui se dégage de ces derniers accords dissonants et stridents. D'une totale réussite de l'association des images et du son dont surgit une véritable émotion qui nous saisit, cette émotion que l'on recherche lorsque l'on abandonne notre crédulité et notre cynisme à l'achat du ticket pour nos voyages dans les salles obscures.
Le morceau "Message from Home" est plus anecdotique. Mais le visionnage des vidéos envoyées par les enfants de Cooper est à lui seul tellement riche émotionnellement, que le surligner avec davantage que quelques notes de piano mélancolique aurait sûrement été trop lourd et moins impactant. Avec "The Wormhole", le trou noir, cette entité qui absorbe tout de manière inéluctable, est mis en musique sobrement par un rythme métronomique et une aspiration finale.
L'angoisse du temps qui passe. Chaque minute qui compte. C'est ce qui transpire de chaque petit battement des ces percussions boisées et douces de "Mountains", subtilement - Oui, il sait être subtil le Zimmer ! - accompagné de quelques souffles de cordes et de vents, puis d'orgues. Cette angoisse s'amplifie, s'accélère, jusqu'à devenir étouffante dans un rugissement orchestral, un rugissement de désespoir qui coupe le souffle.
Je ne m'étalerai pas sur les quatre pistes suivantes qui semblent plus anecdotiques, qui souffrent de l'écoute seule, s'appuyant sur des effets sonores sur-exploités pour illustrer le stress et l'histoire et des personnages. Je noterai toutefois le travail remarquable sur les sonorités de "I am Going Home".

Le poids lourd de l'album. "Coward". Epopée sonore de huit minutes qui justifie, à mon goût, l'écoute de cette bande originale à elle seule. Des percussions rafraîchissantes et cadrées accompagnent des râles instrumentaux jusqu'au réveil progressif du motif sonore discrètement évoqué dans Dust, mais cette fois de manière plus insistante et puissante par l'orchestre et cette orgue spatiale durant quelques dizaines de secondes avant d'être reléguées au second plan, étouffées, et de signer son retour dans un mix auditif extrêmement élégant, habillé de sons électroniques tout aussi élégants. Ce rythme nous entraîne dans une fuite en avant émotionnelle où tout se collapse, tout se mélange. De long glissandi de piano et d'orgue montent progressivement vers une ambiance totalement électronique, une ambiance où Zimmer aurait épuré le meilleur des années 80 de tout son kitschissisme. Enfin grandit une vague de piano lourde et grasse, nous plongeant dans une apnée qui s'arrête d'un souffle.
Rien de bien notable ensuite dans "Detach", mise à part une répétition du rugissement entendu à la fin de Stay, dans une orchestration légèrement plus puissante et brutale, ainsi qu'un final quasi-poétique.
Dans "S.T.A.Y", on retrouve le motif mélodique simple et efficace de Day One, mais à la place du piano, c'est un son de synthé doux et plaintif qui nous scotche, un son presque spirituel, mais qui s'estompe pour laisser place à quelques minutes de... pas grand chose. Une nouvelle atmosphère stratosphérique se dégage ensuite du morceau final "Where We're Going", jusqu'à la reprise au bout de quelques minutes de cette mélodie spirituelle, dotée d'un nouvel arrangement qui ne saurait laisser naître une quelconque lassitude, qui envoie voguer notre âme dans une méditation musicale, jusqu'à la dernière touche de cette partition, un dernier élan orgue-asmique.

Le compositeur fétiche de Nolan aura donc su avec Interstellar s'ouvrir de nouveaux horizons, et enfin se renouveler sans tomber dans une simplicité affligeante, au travers de ses sons aériens, de ses orgues célestes et de ses mélodies quasi-transcendantales. Accident de parcours ou véritable réveil musical, cette petite pépite risque d'accompagner mes oreilles durant quelques années.
Taguzu
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le 20 nov. 2014

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Taguzu

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