Deafheaven a toujours eu l'habitude de surprendre son public, interrompant le chaos du black metal avec des longs passages éthérés aux textures infiniment mélodiques dans l'ensemble de leurs albums. Un groupe éclectique qui n'a jamais eu peur d'ouvrir le metal à un public plus large en y intégrant des teintures musicales différentes malgré les critiques et les accusations de "poser".
Mais leur nouvel album Infinite Granite va encore plus loin dans la surprise et l'inattendu, marquant un tournant dans la discographie du groupe qui semble avoir abandonné les reflets black metal de leur musique pour aller vers un son très années 90's inspiré des oeuvres alt-rock et shoegaze les plus marquants de cette décennie (Ride, Radiohead notamment), mais tout en essayant de conserver leur identité mélodique et leur penchant pour les grands moments de catharsis et d'explosion musicale.
En effet, le groupe, par l'intermédiaire de son chanteur George Clarke, avait prévenu de ce changement et mis l'accent dans ses interviews sur tout le travail de fond effectué pour changer le son du groupe s'inspirant pour son chant d'artistes allant de Nina Simone à Chet Baker de Tears for Fears.


La magnifique cover de l'album nous plonge comme toujours avec Deafheaven en plein dans l'ambiance qu'a voulu créer le groupe. Avec Infinite Granite, nous sommes dans l'heure bleue, entre la nuit et le jour, dans un état léthargique entre éveil et sommeil, observant le plafond et réfléchissant au sens de la vie et aux émotions.
Pour exprimer cela musicalement, Deafheaven alterne les passages oniriques et les moments un peu plus agités qui rappelle parfaitement les états de l'insomnie.
Déjà dans Ordinary Corrupt Human Love, on pouvait observer les efforts concentrés du groupe sur les textures subtiles de ses chansons. Infinite Granite repart de ces bases et reprend le travail entamé en allant encore plus loin dans la démarche.
C'est en testant du nouveau matériel en 2019 que le groupe s'est rendu compte que les riffs composés ne rentraient pas dans les codes et la puissance du metal, amenant ainsi les membres du groupe à repenser leur approche artistique et à se diriger vers un nouveau producteur - Justin Meldal Johnsen - connu pour son travail avec des artistes pop et donc sur un chant très mélodique et clair.


Mais l'objectif artistique du groupe était de faire d'Infinite Granite le Kid A de Deafheaven.
Rappelez-vous, Radiohead, après avoir atteint les sommets musicaux populaires et qualitatif sur OK Computer en 1997 avait changé totalement l'approche musicale du groupe passant d'un son art-rock mélangeant tous les sous-genres du rock à un album de prog-électro qui parvenait à conserver l'identité du groupe et ce son si reconnaissable. George Clarke, le chanteur de Deafheaven souhaitait ainsi refaire cela "en filtrant [leur] propre son au travers d'un support différent".


Pour se pencher plus précisément sur l'album, Infinite Granite offre plusieurs styles de chansons qui sont pour la plupart réussies, délivrant parfois même des moments de beauté tragiques et lyriques jamais atteint auparavant par le groupe et ce malgré un son plus calme et paisible.
Mais les quelques chansons les plus shoegaze de l'album rappellent beaucoup trop l'inspiration assumée de Ride dans Shellstar ou Lament for Wasps sans parvenir à s'en démarquer laissant ainsi une impression de déjà entendu.
Les chansons les plus réussies étant finalement celles qui abandonnent un peu le shoegaze pour laisser place à ce que le groupe sait faire de mieux à mon sens, cet entrelac d'emo, de post-rock et de black metal.


L'intérêt d'être passé à un chant clair est aussi que cela permet à l'auditeur de se concentrer sur les paroles. Sur ce point, il faut reconnaître qu'Infinite Granite délivre les plus beaux textes du groupe avec un lyrisme toujours omniprésent mais aussi des thématiques plus personnelles et intimistes :


Shellstar aborde un sujet récurrent qu'est celui des incendies en Californie et la culpabilité de ceux qui restent indifférent face à ce désastre écologique "I question the reason for the freedom in unfeeling"
De même dans Other Language, George Clarke semble faire un parallèle entre la mort d'un de ses amis et les scènes d'oiseaux fuyant les incendies qu'il observe depuis la fenêtre de son van tout en riant avec son ami décédé qu'il tient par la taille.


Dans In Blur et The Gnashing, George Clarke aborde la perte d'un enfant du point de vue des parents.
In Blur est particulièrement bouleversante; le père de la chanson, non croyant, s'adresse à Dieu pour trouver du réconfort face à cette perte, tout en sachant qu'il est seul face à ce deuil "and alone".
L'instrumentation est éthérée et mystique, portant magnifiquement le chant et l'adresse à Dieu.

Musicalement, les tonalités en fond pendant les solos de guitare sont particulièrement emo et rappellent The Brave Little Abacus.
The Gnashing prend cette fois ci le point de vue d'une mère qui a perdu son enfant et semble faire référence à une situation vécue par le chanteur et l'acceptation du deuil : "hear these howls hurling our present"


Dans Great Mass of Color, le groupe continue dans ce son emo-post rock mais dans un état d'esprit plus joyeux.
Les paroles sont plus difficile à déchiffrer, George Clarke se questionne sur ce que cela signifie d'être un homme avec une référence directe à l'identité de genre exprimé par cette phrase : "living trapped inside this body".


Dans Villain, il fait cette fois-ci référence à sa famille et aux problèmes d'alcoolisme et d'abus dont il a été victime, comment cela affecte l'homme qu'il est devenu et ce que cela signifie de partager son sang avec des personnes violentes et cruelles.
Cette part de mal qu'il a en lui sait avoir en lui et qui pourrait à tout moment se réveiller "My own villain rising"
Les chuchotements en dans la première moitié de la chanson paralysent comme l'anxiété au réveil et laissent place à une explosion de cri dans la fin de la chanson.


Mombasa clot l'album en abordant la question de la mort dans son point de vue libérateur et paisible. J'avoue avoir du mal à comprendre l'exact message qu'a voulu faire passer George Clarke dans cette chanson puisqu'il raconte l'histoire de son grand-père avec qui il vivait et qu'il a du mettre dans un équivalent d'EPAHD. Ce dernier s'excusant d'être un poids trop important et de ne pas être mort.
Quoiqu'il en soit, la chanson se termine musicalement par un retour au son metal "classique" du groupe avec le chant crié, laissant peut être. présager que cet album n'était qu'une expérience à part pour Deafheaven avant un retour au son d'origine du groupe pour le prochain album?


En conclusion, le bilan est mitigé. Oui, musicalement tout a bien changé et l'on perçoit clairement l'identité musicale du groupe au travers de ce nouveau son mélangeant shoegaze, alt-rock et musique psychédélique.
Oui, comme pour Kid A, Deafheaven semble également vouloir faire un album ancré dans l'époque actuel en abordant les thématiques sur l'identité, l'écologie, la mort…


Mais si l'on prend l'album dans sa globalité, nous sommes loin d'une œuvre aussi disruptive et ambitieuse que celle de Radiohead. Ici, le tout manque de relief et de cette folie créative musicale à laquelle nous avait habitué le groupe.
Deafheaven semble encore tâtonner musicalement et n'a pas encore totalement réussi à s'approprier le nouveau son qu'il souhaite mettre en place.
On ne peut donc que souhaiter qu'il atteigne son Kid A au prochain album.

VictorBergeaud
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le 20 août 2021

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