Voilà l'histoire : j'avais 20 ans en 1977, et je fais partie de ceux que l'explosion punk - britannique principalement, mais pas que... - a définitivement marqués. Ceux pour qui la musique qui compte se doit avant tout d'être simple, directe, urgente si possible. Si les horribles bataillons de punks qui ont sévi durant les décennies suivantes - et en particulier les atroces groupaillons américains de surf-punk etc. - n'ont gardé du "mouvement" que les guitares sursaturées et les braillements, le look des sapes et les grimaces provocatrices, je fais partie de ceux qui "savent" : que la forme n'importe pas tant, bien entendu, puisque le principe du "punk", c'est la VERITE, 45 ou même 33 tours par minute (Merci, Jean-Luc !). Que le "No Fun" de Iggy est plus "punk" en moins de trois minutes que la totalité de la discographie de disons Sum 41. Ou, pour être encore plus clair peut-être, que les glapissements de Chris Knox tout seul devant sa table de mixage bricolée sont infiniment plus "punks", et plus "pop" aussi, que les déferlements sonores de Blink-182.


Cette longue introduction pour expliquer pourquoi "Grubby Stories" de Patrik Fitzgerald, un album datant de 1979 et à l'époque passé complètement sous mes radars, a causé en moi une telle décharge émotionnelle. Qui n'a pour le coup rien à voir avec la nostalgie qu'il m'arrive, c'est vrai, d’éprouver pour un temps où nous portions nos opinions, mais aussi notre cœur, épinglés au revers de nos blousons. Patrik Fitzgerald, petit punk resté sur le quai du train de l'Histoire, fut quand même qualifié à l'époque de "Dylan punk", ce qui vous rassurera (ou vous inquiétera, c'est selon) sur ma sanité quand je dis que "Grubby Stories" figure désormais dans mon Top 10 des meilleurs albums "punks", au côté du premier Clash ou du "Blank Generation" de Richard Hell.


"Grubby Stories", c'est 17 chansons, 17 coups de cœur, souvent sous format acoustique minimaliste : Patrik n'a pu se payer un groupe pour faire du bruit autour de lui que sur quelques titres, mais, curieusement - ou plutôt logiquement - l'apport de ces musiciens est totalement négligeable. La voix, l'élégance du phrasé, l'accent (délicieux), les mélodies (souvent) accrocheuses, permettent de situer clairement l'album au sein de son époque et de sa géographie. Pourtant, la précision des textes, l'absolue conviction avec laquelle Patrik les chante ou les récite, le sentiment de vérité - donc - qui s'en dégage, font aussi de ce disque un classique absolument intemporel (d'où la validité du qualificatif de "dylanesque").


Au cœur de "Grubby Stories" s'accumulent des chansons plus nues encore, où la douleur devient éblouissante, où les larmes pointent, des chansons qui sont proches du miracle absolu de la musique : "Adopted Girl", "Little Fishes" (à pleurer, donc), "Suicidal Wreck" (brutal), et surtout le fabuleux "All the Years of Trying". Des chansons qui seront ce que vous avez entendu de plus poignant, de plus intense depuis que la musique est devenu une affaire de réseaux sociaux, de téléchargement et de marketing.


A la fin, Patrik nous explique que, en 1979, tout est déjà foutu puisque les tenues punks sont en vente dans les grands magasins (chez Woolworths, pour le coup), que le punk rock ne changera malheureusement pas le monde, et qu'on ne comptera pas sur lui pour être notre héros.


Trop tard, Patrik, tu es MON HEROS. Mon héros, mon héros, mon héros.


[Critique écrite en 2017]

EricDebarnot
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums anglais des années 1970 et Les meilleurs albums de punk rock

Créée

le 28 juin 2017

Critique lue 172 fois

10 j'aime

13 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 172 fois

10
13

D'autres avis sur Grubby Stories

Grubby Stories
EricDebarnot
9

No more heroes ?

Voilà l'histoire : j'avais 20 ans en 1977, et je fais partie de ceux que l'explosion punk - britannique principalement, mais pas que... - a définitivement marqués. Ceux pour qui la musique qui compte...

le 28 juin 2017

10 j'aime

13

Du même critique

Moi, Daniel Blake
EricDebarnot
7

La honte et la colère

Je viens de voir "Moi, Daniel Blake", le dernier Ken Loach, honoré par une Palme d'Or au dernier festival de Cannes et conspué quasi unanimement par la critique, et en particulier celle de gauche....

le 31 oct. 2016

205 j'aime

70

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

99

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

183 j'aime

25