Going for the One
7.1
Going for the One

Album de Yes (1977)

C'était le deuxième jour qu'elle était chez moi. Je voulais lui partager quelque chose d'intense, de puissant et de personnel, sur lequel je dansais comme un possédé. Je l'installai entre mes deux colonnes Spectral, et lui jouai "Awaken" de Yes. Elle se laissa traverser par ces quinze minutes de voyage émotionnel, puis à la fin, elle me regarda, elle était en larme, comme transfigurée. Elle n'avait pourtant aucune idée qui était ce groupe. Elle était juste émue et comme exaltée.


Je ne l'avais jamais fait, or il est temps que je rende hommage au guitariste Steve Howe. La vie est parfois injuste et drôle : il ne sera pas à l'origine de ce tube international "Owner of a lonely heart", non, mais il aura fait mieux : il aura écrit l'histoire de la musique. Il aura écrit avec Jon Anderson les pièces maîtresses de Yes : "Awaken", "Turn of the century", "Close to the edge", "And you and I", "Tales of topographic oceans". Même lorsque Anderson eut besoin de lui pour ABWH, il sera à l'origine des titres les plus remarquables et profonds : "Birthright", "Brother of mine". C'est de ce guitariste dont l'histoire se rappellera. Il aura composé les titres les plus épiques de Yes, ceux qui sont inscrits dans le cœur des gens. Le duo Anderson / Howe fonctionna à merveille. Ils produisirent les titres les plus puissants et les plus ambitieux. On fit l'erreur de "classifier" leur musique dans "progressive music" ou "progressive rock", mais la musique de Yes est unique, elle n'a pas d'équivalent. La musique de Yes est un style, une voie, un esprit.


Pour moi, cet album fut surtout la rencontre avec ce titre épique démentiel, et une histoire d'amour incroyable, Awaken. Et je te conjure d'écouter la version live qui a été faite par Todmobile et Jon Anderson, chair de poule, émotion et pleurs garantis


Pourquoi est-ce que je pleure à chaque fois que j'écoute ce morceaux ?
Il y a des choses qu'on ne peut pas expliquer. Cela va chercher très loin et cela te submerge. Cela touche à quelque chose qui est "au-delà" et pourtant en nous. Cela touche au sublime, à notre être le plus profond.
C'est vrai, les paroles n'ont plus rien du côté basique du rock, on a basculé vers quelque chose d'essentiel, de plus abstrait, avec des thèmes beaucoup plus travaillés, et pourtant, ça rock, c'est physique, c'est un tout qui nous transcende.



Awaken, une incantation, un appel à l'éveil



"High vibration go on..."


C'est un titre à mettre aux côté de "Close to edge", "And you and I" par leur structure en 3 grande sections. Alors que les deux premiers s'inscrivent dans la tradition classique de la forme sonate A-B-A', avec un mouvement lent central, "Awaken", lui, a bien 3 sections principales, mais des parties sont développées à l'intérieur de ces sections, ce qui nous donne : A-BC- D - E- A'.


Introduction :
A : introduction piano (tempo libre) et Thème éthéré (sans rythme)
Mouvement I
B : Incantation & danse de type chamanique en 11/8 (4/8 + 4/8 + 3/8) - rapide
C : danse type valse (3/4) - rapide
Mouvement II
D : mouvement lent et méditatif en 6/8
Mouvement III
E: mouvement lent et élévation en 12/8
avec la particularité des accentuations et syncopes rythmiques, dans la lenteur
A: retour au Thème éthéré d'introduction


On peut d'ores et déjà s'avancer en disant que les thèmes, les tuilages mélodiques, les progressions harmoniques, les rythmes sont plus complexes dans "Awaken", sans être excessif. Yes est en état de grâce, et nous aussi. Jamais un groupe rock n'avait un tel degré d'écriture musicale. C'est une musique qui est déjà enseignée dans les écoles de musique. Elle est entrée dans le répertoire des hommes. C'est déjà historique. Unique et précieux. Cette musique a complètement effacé le clivage entre les musiques dîtes sérieuses et les musiques populaires.


C'est une quête spirituelle. C'est aussi tout ce qui nous élève. C'est un voyage transcendental, mystique, aux confins de notre âme, une célébration et la convocation de nos ancêtres : c'est une danse incantatoire, un rituel religieux païen (de religere, qui nous relie, tous). C'est l'éveil de la conscience avec les animaux, les plantes, la terre, le cosmos... C'est un voyage aux confins de l'univers et des RTT. C'est le doigt de Michel-Ange vers Dieu, et l'ineffable fin de 2001 l’odyssée de l'espace. C'est moi dansant sur cette musique théoriquement indansable, en flagrant délit de lévitation, en plein délire le gars..
C'est une invitation à l'amour universel, à la communion, et à la fin du monde tel qu'on l'a connu. All we need is love. C'est quinze minutes d'extases, d'apaisement et d'exaltation à rendre grâce à mère nature, au miracle de la vie, au soleil, à notre respiration, aux merveilles de ce monde. C'est un éveil à tout ce qui nous entoure, aux fleurs, aux beautés, aux univers qui nous traversent, nous dépassent ou qui sont là, juste là autour de nous.


C'est un cri de l'âme, des voix d'anges, et tout à coup cette lumière qui jaillit, te pénètre, te révèle. Tu es un fils de dieu, tu es dieu, il est toi, et nous ne faisons qu'un : we are going for the one.



De la raclette, du vin chaud et le retour de l'enfant prodige



Les conditions d'enregistrement de cet album qui eut lieu en Suisse, se rapprochèrent plus de Pierre & Vacances, vois-tu. Les familles des musiciens étaient à deux pas, avec au programme ski le matin, raclette-vin-chaud le midi et sessions d'enregistrements l'après-midi. Un instant de bonheur en trompe l’œil ? Peu importe. C'est avant tout des amis qui se retrouvèrent ensemble. Le claviériste Rick Wakeman les rejoignit à nouveau, après s'être retrouvé à la dèche, et après d'âpres manigances par le producteur Brian Lane qui chercha à placer son poulain , et aussi après avoir viré au même poste le Suisse Patrick Moraz. Yes justifia alors des difficultés d'ordre linguistique, ce à quoi je peux aisément compatir, tellement le Suisse est incompréhensible (du moins en Allemand). Anderson se défendit en taclant son ancien intérimaire "d'autiste se désintéressant de la musique de Yes, ne voulant pas jouer ce qu'il lui était demandé de jouer". On reconnaîtra bien ici la touche Napoléon de Jon au passage...Il était aussi évident que le groupe était heureux de retrouver leur vieux poteau capé aux cheveux d'or. Ils avaient accueilli le retour de l'enfant prodige avec simplicité, franche camaraderie, à se raconter les dernières vacances. Bref, la vie était belle et l'ambiance était potache. Face au retour de Rick, Steve Howe, lui eut recours à la méditation transcendantale et au gruyère, ce qui l'un dans l'autre, fut salutaire. Il ne leur vint pas à l'esprit que l'aventure recouvrait un aspect légèrement pernicieux, en virant Patrick, soit, mais en s’installant malgré tout chez lui, avec Rick, leur nouvelle copine. Ce fut indélicat tu avoueras. Oui, mais on a tous fait pareil un jour...or un vieil adage encore en vigueur à Vevey dit qu'on ne fait pas d'album sublime sans casser quelques claviéristes intérimaires par dessus le marché.


Et puis, la vérité, ces gars là se connaissaient parfaitement bien. Ils s'appréciaient et étaient contents de se retrouver après cette période d'albums solos : ils furent ainsi plus ouverts durant cette période, et cela s'entend. D'ailleurs, la pochette de l'album retrace bien ce climat apaisé, propice à l'ouverture et à l'échangisme. Photos de vacances de chaque membre, sur fond de lac et de coucher de soleil. Cliché dis-tu ? Oui mais Hipnogis l'agence en vogue d'alors, qui n'était plus à un coup de génie près, après son triangle et son arc-en-ciel, capta bien cet esprit, en opposition complètement tranchée avec la couverture citadine, bétonnée, où l'homme-animal nu est perdu au milieu du gigantisme des buildings de la nouvelle Ere : l'homme déraciné, l'homme hors-sol de Pierre Rabhi. Ils avaient déjà tout compris...
Et pendant ce temps, des hommes en pleine montagne, proches de la nature, buvant des vins chauds et se bourrant de raclettes au bords d'un lac, des hommes décontractés, des hommes heureux, en paix, fabriquent une musique nouvelle, une musique loin des folies de ce siècle : une musique hors des prises du temps, une musique de l'esprit .
Et comme disait le beau-frère de mon père, "ils ont la belle vie quoi" (ce qui dans son langage de Lorrain signifie que de son point de vue philosophique c'était des branleurs quand même ...) bon...mais on s'égare.



L'album du siècle...à deux trois trucs près



Clairement, si tu enlèves le titre Parrallels, et que tu mets à la place Montreux's theme, et surtout Vevey, tu serais déjà en train de pleurer au génie à demander qu'on place cet album au panthéon des meilleurs albums touchés par la grâce... Il est clair que Vevey offrait un instant de recueillement de facture classique, alors que Parrallels était taillé pour la scène. Et je te le rappelle : Yes est avant tout un groupe live, et il est vrai que si tu amputais cet album de ce titre dynamique, c'était très risqué, voire impensable en 1976.


Cela aurait pu cependant donner ceci :



  • Going for the one

  • Turn of the century

  • Vevey

  • Montreux's theme

  • Wonderous stories

  • Awaken


Parrallels est une chanson qui m'a toujours dérangée. Le problème principal vient de l'orgue d'église. L'équilibre entre le groupe et cet orgue est incohérent ou au pire grandiloquent. Ils auraient dû le sous-mixer, ou remplacer la pataude partie de clavier (avec ses accords plaqués) par une rythmique guitare centrale, et varier ainsi les dynamiques. Je ne suis pas le seul à m'en prendre à Parrallels : c'est bien un point sur lequel la majorité des critiques musicaux s'accordent depuis les années 70. Pourtant cette chanson est plutôt une bonne chanson, à vrai dire. Et Wakeman raconta à quel point il vécut un moment merveilleux à enregistrer ce titre. Il faudrait alors demander aux anciens comment ils vécurent Parrallels en concert...j'imagine que ce devait être impressionnant. Mais sur disque, cela reste toujours indigeste.


Going for the one, Turn of the century, Awaken et autres histoires merveilleuses


Turn of the century : D'une certaine manière, Turn of the century est la seconde merveille de cet album. Son second épicentre. Ecrit par le duo Howe / Anderson (avec un apport non identifiable par White), Turn of the century déroule un morceau épique sur 8 minutes, à la structure et aux harmonies particulièrement élaborées (on y reviendra). Avec un début léger, puis suivi par un développement rythmique progressif qui nous amène jusqu'à ce point cathartique final, Turn of the century est une élévation, encore, jubilatoire. Tout ce joue dans l'émotion, et surtout, le groupe est en totale symbiose. Tout y est parfaitement en place, équilibré. On touche alors au sublime.


Going for the one
On ne soulignera jamais assez la puissance, la force et l'énergie spirituelle que contient Going for the one


(to be continued)


titres : "Awaken", "Turn of the century"
... avec Awaken, je n'arrive pas à mettre moins de 10...11 à la rigueur...!

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le 5 mai 2018

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