Dans l'histoire du rap US, il y'a les albums qui tombent plus ou moins dans l'oubli, il y'a les classiques, puis il y'a les classiques parmi les classiques. C'est assurément dans cette dernière catégorie que les fumeurs de PCP les plus dérangés de New York, j'ai nommé le Wu-Tang Clan, sont venus placer le 9 Novembre 1993, sans crier gare ni faire de sentiments, leur premier album studio : Enter the Wu-Tang: 36 Chambers (référence à l'excellent La 36ème chambre de Shaolin de 1978). La suite appartient à l'histoire, presque 26 ans plus tard, le chef d'oeuvre du crew de Staten Island n'a pas pris une seule ride et continue d'avoir une influence considérable sur la scène hip-hop/rap US et internationale.


Je ne ferai pas une critique morceau par morceau mais il me semblait toutefois primordial d'évoquer le début de l'album. En effet, rarement le premier morceau d'un projet n'aura réussi à aussi bien en poser les bases que le légendaire "Bring Da Ruckus" : Une voix qui semble lointaine (en réalité celle de RZA) répétant une phrase en boucle pour nous accompagner avant de tomber sur un Ghostface Killah plus violent que jamais et clairement en démonstration, lançant idéalement la galette. L'effet est immédiat : nous voilà dans l'arène. Le tout sur une instru boom-bap bien sombre et dissonante, particulièrement imprégnée des caractéristiques propres à la East-Coast, évoquant la noirceur et la crasse des ghettos de Staten Island.


C'est là que réside l'essence même de l'album : des flows incisifs sur des instrus bien souvent froides et épurées, taillées pour laisser libre cours au génie ( ou à la folie ) des 10 MC's galvanisés comme rarement, génie alliant technique et violence. Et parmi ces 10 MC's, difficile d'en sortir véritablement un du lot tant chacun sait se faire sa place et marquer les esprits. Naturellement, chacun aura sa préférence, mais force est de constater que chacun d'entre eux est venu ici pour bomber le torse et sortir les crocs : de là naît une alchimie parfaite et une complémentarité entre tout ce beau monde, même avec les flows atypiques de certains (ODB en tête), sacré exploit en soi, a fortiori de manière aussi fluide et naturelle.


Evidemment, comme pouvait le laisser présager le titre, on retrouve des samples à la pelle de films asiatiques plus où moins célèbres et de plus où moins bonne facture, ce qui donne un résultat hyper imagé et nous laisse imaginer le quotidien au coeur du processus de création du chef d'oeuvre, à base de location de VHS et de défonce intense. Car, non content d'avoir accouché d'un album d'une qualité exceptionnelle, le Wu-Tang a su développer une ambiance idéale pour laisser s'exprimer pleinement 10 samourais assoiffés de sang, ce qui donne naissance à des morceaux qui n'auraient rien à envier aux bangers actuels d'un point de vue de l'intensité, "Protect Ya Neck" et "Da Mystery Of Chessboxin" en sont les exemples les plus criants. L'on retrouve également des morceaux plus "funky", à l'image de "Shame On A Nigga" où à l'inverse plus personnels comme "C.R.E.A.M" que l'on ne présente plus aujourd'hui.


Enter The Wu-Tang est en quelque sorte une oeuvre cinématographique à part entière tout autant qu'un projet musical, chose rarissime ( pour ne pas dire unique ) dans le genre, car il faut à n'en pas douter une sacrée dose de génie pour s'adonner aux deux exercices, qui plus est avec autant de cohérence et de talent, lorsque pas moins de 10 personnalités aussi fortes y prennent part. Etrangement, bien que beaucoup de projets individuels des membres du Clan sortis par la suite soient reconnus aujourd'hui comme des incontournables du hip-hop et soient bourrés de qualités ( Liquid Swords de RZA, Return to The 36 Chambers d' ODB, Only Built 4 Cuban Linx de Raekwon...), aucun ne peut réellement prétendre arriver à la cheville de cet album, à croire que le meilleur de chacun des MC's passe nécessairement par la confrontation de leur talent.

Garniax
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le 14 mars 2019

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