Depression Cherry
7.3
Depression Cherry

Album de Beach House (2015)

Trois ans. Trois années à réécouter en boucle et comme sous hypnose les mélodies cotonneuses et ambiguës du sublime « Bloom ». C’était à se demander si le groupe reviendrait un jour dans les bacs et, surtout, comment il reviendrait. Jusque-là, leur discographie était un sans-faute : des deux premiers albums, timides, fragiles mais aussi un peu plus dissonants et shoegaze, jusqu’aux sommets atteints dès le magnifique « Teen Dream », qui entérinait le style dream pop dont Beach House est désormais le fer de lance mondial. La recette du projet est pourtant simple : un soupçon de batterie, beaucoup de boîtes à rythmes, des claviers omniprésents, une guitare discrète mais volontiers vénéneuse et le chant élégiaque et incomparable de Victoria Legrand. Se remettre à composer après une telle ascension n’est jamais chose facile, et le duo américain prouve, avec ce « Depression Cherry », qu’il en est capable ; et bien plus encore.


Annoncé par un premier single surprenant, « Sparks », un morceau résolument plus rock et shoegaze que tout ce que le groupe avait pu proposer jusqu’alors, ce cinquième album est pourtant des plus apaisés. S’il s’inscrit musicalement dans une belle continuité avec « Bloom » – c’est en effet un disque tout aussi entêtant et planant -, il marque aussi un retour certain vers un son où les mélodies pop ont la part belle. Par ailleurs, la durée moyenne des morceaux semble s’allonger et stagner autour de cinq minutes, laps de temps qui sied mieux à la construction minutieuse d’ambiances éthérées et de mélodies faussement répétitives. Si l’on prend le titre qui ouvre l’album, le très beau « Levitation », on obtient une excellente idée du morceau-type que le groupe est parvenu à élaborer sur son cinquième album : l’intro voit un couple de claviers s’élever, l’un jouant une nappe sonore en toile de fond tandis que le second brode une dentelle de notes par-dessus. Et tout le reste fonctionne ainsi, par petites touches et couches successives qui viennent s’ajouter, se compléter et se superposer. Chœurs masculins discrets, chant lead féminin, puis quelques notes de guitare et de basse. Ce minutieux travail d’orfèvre est reproduit à merveille tout au long du disque, avec suffisamment de variations et d’intelligence pour que s’en dégage un sentiment de cohérence sans sombrer dans la redite. Sur « Levitation », la musique joue également un rôle expressif notable, allant jusqu’à nous faire éprouver l’état de flottement et de suspension dont il est question par un jeu subtil de voix entremêlées et de rythmes berçants.


Si les guitares presque tonitruantes du single « Sparks », visiblement inspiré par My Bloody Valentine période « Loveless », marquent une coupure assez nette avec le reste du disque, « Depression Cherry » est aussi l’un des albums de Beach House les plus riches en chansons vraiment marquantes et pouvant prétendre à une place sur un futur éventuel best of. Les guitares qui ondulent et nous émeuvent sur le sublime « Space Song », dont le gimmick de claviers rappellera un certain « Lazuli » du précédent album ; les chœurs suspendus dans le vide au milieu de « 10:37 », une piste qui fait la part belle aux arrangements pour voix ; ou encore le prodigieux crescendo construit tout au long des six minutes de « ppp », sont d’autant de moments difficilement oubliables et qui vous feront revenir encore et encore sur cet album précieux. Quelques chansons marquent un léger coup de mou en fin d’album, comme l’assez dispensable « Wildflower », pourtant joué sur la tournée (au détriment de « 10:37 ») ; mais le disque finit en beauté, comme son prédécesseur, avec une des pistes peut-être les plus originales du répertoire de Beach House. En effet, « Days of Candy », au titre évocateur de sa grande douceur nostalgique, est un festival d’arrangements pour voix, nimbés d’effets lyriques presque mystiques et qui semblent soudain rappeler à l’auditeur que Victoria est bien la nièce de Michel Legrand, dont l’ombre de quelques partitions célèbres pour le cinéma plane ici. Ce morceau, le plus long du disque avec un peu plus de six minutes, en est aussi le déchirant point d’orgue.


Avec « Depression Cherry », sa pochette de velours rouge, ses nappes de claviers rêveuses et ses voix plus que jamais aériennes, Beach House marque un retour en grandes pompes, avec un bel équilibre entre continuité discographique et volonté de renouveler légèrement sa formule éprouvée. Sa communication en trompe-l’œil autour d’un single certes excellent mais d’un registre très différent du reste du disque, et son envoi final sur les paroles « I know it comes too soon… », semblent par ailleurs révélateurs d’une certaine roublardise du duo quant à son propre travail ; puisqu’en sonnant ainsi l’heure de la séparation, rien ne nous préparait à l’énorme surprise d’un tout aussi bon sixième album moins de deux mois plus tard, ironiquement nommé « Thank Your Lucky Stars ».


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le 5 nov. 2015

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Krokodebil

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