Damnation
7.7
Damnation

Album de Opeth (2003)

Opeth, épisode 6B (7 pour les intimes) : musique de chambre froide.

Pour les éventuels farfelus qui liraient dans l'ordre toutes mes critiques sur la discographie du groupe (mon premier projet d'intégrale critiquée !), vous êtes ici en terrain connu.
Pour les autres, et une fois n'est vraiment pas coutume, je vous conseille au moins de lire ceci http://www.senscritique.com/album/Deliverance/critique/17896826 d'abord.

Passé ce petit préambule, reprenons. Quelques mois après la sortie de Deliverance et son succès inespéré, il est temps pour le quatuor suédo-urugayen (Martin Mendez oblige) aidé de la cinquième roue du carrosse (Steven Wilson himself) de sortir le second volet - prêt pourtant depuis un petit moment - de son diptyque en noir et blanc. Deliverance était le disque furibard et virtuose de tous les exutoires, où Âkerfeldt réglait à satiété toutes ses envies les plus démentielles, Damnation devait être celui du retour au calme, et pour la première fois, d'un calme imperturbable et jamais démenti.

Il ne reste qu'à enregistrer les voix, et le disque peut-être mixé et pressé. Les deux albums prennent seulement 7 semaines à être enregistrés (soit le même temps que pour Blackwater Park tout seul), et les mois qui séparent leurs sorties respectives sont juste une précaution commerciale pour ne pas saturer le marché et la fanbase. Bien leur en prend, car si Deliverance est un succès, Damnation n'est ni plus ni moins que le plus gros succès du groupe à l'époque de sa sortie, entrant par effraction pour la première fois au sein du Billboard 200 - fait assez rare pour un groupe de ce registre.

Toutefois, le contenu de l'album y est pour beaucoup. Car dans Damnation, comme son nom ne l'indique pas, ou bien de manière terriblement cynique, le groupe offre un contre-pied total à ce qu'il avait jusqu'alors démontré. Les pistes sont courtes et la plus longue, le superbement mélancolique Windowpane, ne dépasse même pas les 8 minutes. Mais surtout, les guitares électriques se font plus rares, les riffs heavy sont pratiquement absents, les chants gutturaux ont complètement disparu, et Mikael exploite toute la palette de son registre clair, au profit d'un disque qu'on serait tenté de qualifier de musique de poche, de rock progressif de chambre, à l'instar de la douce tristesse véhiculée par la jolie pochette.

Qu'on ne se leurre pas, la présence de Wilson est ici plus que jamais perceptible, tant il semble avoir pratiquement phagocyté le style initial du groupe. Les claviers fantomatiques et parfois limite flippants sont presque partout, et hantent une succession de chansons lugubres et gentiment déprimantes, à l'instar de "Weakness", qui a la particularité de clore l'album après une chanson pourtant intitulée "Ending Credits".

On ne va pas se mentir, Damnation reste pour moi l'album le moins convaincant du groupe. Certes un très bon disque, mais auquel j'ai du mal à accrocher, dont je ne retiens vraiment bien que deux ou trois chansons et quelques mélodies, et sur lequel j'ai très rarement envie de me pencher. Bien sûr "Windowpane" est magnifique et "Closure" reste une de mes chansons d'Opeth préférées, mais le reste du disque me semble trop monocorde et pas assez varié en comparaison de n'importe quel autre disque de la formation. L'exécution est parfaite mais la démonstration moins.

Et pourtant, Damnation est probablement le disque - avec Blackwater Park - qui a reçu depuis le temps le plus grand nombre de suffrages. Les fans du groupe, qui protestent facilement au sujet des deux derniers albums (Heritage et Pale Communion), pardonnent et apprécient Damnation, peut-être parce qu'il est plus sombre et moins progressif que les deux autres, peut-être aussi parce qu'à l'époque de sa sortie il faisait office de parenthèse ou d'expérience sans lendemain avant de nouveaux albums orientés death prog. Quant à la critique plus mainstream et au public nouveau conquis par le disque, c'est bien entendu le caractère plus accessible qui permet une adhésion plus immédiate. Un exemple simple : je n'ai jamais réussi à faire apprécier ce groupe à mes parents, trop réfractaires au style extrême de certains albums. Mais Damnation passe beaucoup mieux, même s'ils le trouvent un peu trop lugubre et déprimant.

Un thème traverse le disque, celui de la berceuse. Depuis la pochette jusqu'à "Death Whispered a Lullaby", le style de la petite chanson, presque une comptine, mélancolique et dormeuse, se fraie un chemin. Elle est mentionnée même dans Windowpane, pourtant une des chansons qui se démarque le plus en termes de sonorités de l'album. Sur les autres chansons, toutes réussies et plutôt belles je dois en convenir, on paiera attention à l'extrême subtilité et délicatesse des arrangements, des mélodies, des lignes de chants. Très efficace et que l'on se prend à fredonner rapidement, même si pour ma part rien ou presque ne persiste une fois le disque terminé. Et puis ces claviers, toujours eux, qui semblent étirer le temps et pousser l'ensemble vers un abîme de désespoir, un lieu où la musique n'est plus qu'une petite plainte déchirante vers laquelle paraissait pourtant tendre tout l'album. Quelques dernières lueurs spectrales et le disque s'achève, n'étant déjà plus qu'un souvenir dont le tour de force est de faire oublier qu'il a été musique pour ne plus laisser que l'empreinte d'un profond sentiment de tristesse.

Plus un album du sieur Wilson que du groupe Opeth à mon goût, mais néanmoins une belle réussite mineure dans leur carrière. D'autres collaborations entre les deux frontmen ont été depuis plus fructueuses, en témoigne le splendide et vénéneux "Storm Corrosion".

Signalons enfin que "To Rid The Disease" est en partie inspirée d'une chanson issue d'un projet avorté d'Âkerfeldt, Sörskogen, intitulée "Mordet i grottan" (Un meurtre dans la grotte) et chantée en suédois
(https://www.youtube.com/watch?v=IsKQuKgy1H4), ou qu'un tribute album au piano est également disponible (Piano Damnation par Kalle Kappner).

A titre personnel donc, je ne retiens que les sublimes "Closure" et "Windowpane", les seuls titres à amener un peu de vie et de chaleur dans une grisaille envahissante, même si les autres chansons sont parfois très belles ("To Rid The Disease", "Death Whispered a Lullaby"). Suite au succès du disque, le groupe s'embarque pour une titanesque tournée, la plus grosse de son histoire, et probablement une des plus intéressantes : Opeth a alors réalisé ses disques les plus importants et son album le plus atypique et les setlists sont divisées en deux : un show acoustique mettant en valeur Damnation et quelques pépites des temps anciens ("Credence", au hasard), et un show électrique où le groupe joue son répertoire plus agressif. Un DVD, "Lamentations", immortalise cette tournée et se vend à merveille.

En revanche le stress et la fatigue se font sentir et Martin Lopez montre ses premiers signes de faiblesse. Il se fait remplacer par son technicien sur plusieurs concerts suite à des crises d'angoisse et part se reposer au Canada. Pendant ce temps, un nouveau venu, Per Wiberg, fait son arrivée sur scène aux claviers. Il fera partie officiellement du groupe lors des sessions du prochain album, "Ghost Reveries", et apportera sa touche personnelle qui donnera à la dernière période extrême du groupe un son coloré et chaleureux caractéristique. Mais c'est une autre page à écrire.

Créée

le 12 août 2014

Modifiée

le 12 août 2014

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Krokodebil

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