Bossanova
7.7
Bossanova

Album de Pixies (1990)

Bossanova, la Zone 51 du Rock'n Roll

Il y a des albums qu'on découvre parce que quelqu'un nous les fait découvrir, les albums qu'on aime parce que c'était ceux qu'écoutaient nos parents, et puis il y a les albums de groupes qu'on déteste dans un premier temps et qu'on se surprends à aimer.


Pour moi, c'était les Pixies.


En même temps, voilà, un groupe qu'on découvre un peu par la force des choses en entendant "Where Is My Mind" à toutes les sauces, et surtout dans des versions massacrées dans les fêtes de la musique au fil des années, ça ne pouvait que me poser des problèmes. J'ai pourtant deux gros souvenirs liés au groupe à l'époque du lycée, sans jamais avoir écouté leur musique. D'abord, je me souviens des posters de Surfer Rosa et Bossanova affichés aux murs de la chambre d'un cousin, aux côtés de photos du Clash et de la pochette du Daydream Nation des Sonic Youth. A 17 ans, alors fan ardu de Depeche Mode, Kraftwerk et New Order, c'était impossible pour moi de m'intéresser à une autre musique qui comportait autant de guitares. Pourtant, le visuel si particulier de la pochette de Bossanova (signé Vaughan Oliver) m'avait déjà frappé. J'ai plus tard appris que ce cousin, bien plus âgé que moi, avait nommé l'une de ses filles Kim. J'ai par la suite fait le rapprochement avec les posters et que deux des groupes cités précédemment cités comportaient des bassistes du même nom, ce qui est ma foi plutôt mignon. Quelques mois plus tard, alors que je terminais la période du bac, je voyais un peu partout le nom du groupe dans les journaux, et notamment dans un numéro spécial des Inrocks dédié au "Summer Of 90's" qu'Arte proposait cette année là. En effet, les Pixies sortaient alors Indie Cindy, leur premier album depuis Trompe Le Monde presque vingt cinq ans plus tôt. Même si je trouvais l'info intéressante, il ne m'était toujours pas venu à l'idée de les écouter. Et peut-être qu'en effet, il était encore trop tôt pour moi de se pencher sur le fameux groupe de Black Francis.


Fast Forward : 8 ans.


Mes années lycées sont déjà loin, et pourtant encore fraîches dans mes souvenirs.

Un soir, je tombe un peu par hasard sur le clip de "Velouria" ou je découvre quatre énergumènes fringués à la meilleure mode grunge tenter de traverser un amas rocheux au ralenti. Si les images me fascinent, c'est encore plus vrai pour la musique. Très vite, je me rends compte que les paroles parlent de la rencontre du narrateur avec une extra terrestre, plus particulièrement une Lémurienne. J'avais lu un peu plus tôt le roman Replay de Ken Grimwood qui évoque longuement le Mont Shasta, non loin de Redding, en Californie, ce qui avait déjà évoqué mon intérêt pour cette montagne, qui, selon la légende, abriterait au plus profond de sa roche une ville alien nommée Telos, peuplé de Lémuriens. Le rapprochement fait, je me suis mis à écouter ce titre de Pixies en boucle. Et puis, j'ai sauté le pas en écoutant Bossanova dans son intégralité.


Certains fans pourraient me reprocher d'avoir découvert le groupe avec l'album qui semble être le moins aimé des Pixies dans leur première période. Et pourtant, force est de constater qu'aujourd'hui encore, alors que ma fascination pour le quartet de Boston est devenue immense, j'aime toujours autant ce Bossanova, peut-être même plus que tous les autres albums publiés par les Pixies avant, ou même après.


J'ai par exemple appris à quel point la création de ce disque a été compliqué à mettre en place pour Black Francis, Joey Santiago, David Lovering et Kim Deal. A l'issue de la tournée « Fuck Or Fight » de 1989, Francis entame une petite tournée en solo ou il joue ses compositions en acoustique. A cette époque, le groupe est en pause. Deal en profite pour rejoindre sa sœur Kelley ainsi que sa grande amie Tanya Donnelly des Throwing Muses pour fonder les Breeders. En fait, si Deal et Francis partent chacun de leur côté, c'est parce qu'une certaine tension s'installe entre eux.


"Fuck Or Fight"


Visiblement, le groupe au complet ne sont pas d'excellents communicants et beaucoup de non dits viennent freiner la cohésion des Pixies. A tel point même, que Kim Deal pète un plomb durant les derniers concerts de la tournée de Doolittle et décide un soir de ne pas monter sur scène. Convaincue finalement par un Joey Santiago soucieux de délivrer un show pour les fans qui ont payés leur place, elle arrive avec un certain retard sur scène. Si le batteur David Lovering semble heureux de la voir, ce n'est pas le cas de Charles « Black Francis » Thompson, qui décide de balancer sa guitare sur elle en signe de mécontentement. Dés lors, Francis cherche à virer Kim du groupe. Il quitte Boston pour aller s'installer à Los Angeles pendant l'hiver 1989/90. Il est rapidement suivi par le guitariste Joey Santiago, puis par David Lovering. Deal, pendant ce temps, peaufine son premier album pour les Breeders en compagnie du producteur Steve Albini à Londres. A son retour aux Etats Unis, elle est convoquée lors d'une réunion du groupe à Los Angeles. C'est finalement l'avocat du groupe et de leur label 4AD, Ken Goes, qui va convaincre Francis de garder Deal au sein des Pixies. Dans les mots de Kim Deal :


Je ne crois pas qu'ils voulaient me virer, mais c'était plutôt pour discuter de la suite. Ils m'ont dit qu'ils ne m'avaient pas donné d'avertissement alors j'allais avoir une deuxième chance. J'ai éclaté en sanglots. Peu importe qu'ils aient raison ou non, ou comment ils s'y sont pris. [...] Tout ce qui compte, c'est qu'ils étaient tous d'accord. Quels connards ! Joey et David se sont excusés depuis.

Une fois le problème (partiellement) réglé, même si Deal et Francis évitent à tout prix de se parler, ils décident de continuer ensemble. Dés lors, Pixies entre aux studios Silverlake & Cherokee de Los Angeles pour enregistrer leur troisième album.


Problème, de taille : le précédent disque, Doolittle, a connu un petit succès d'estime, Black Francis est donc sous pression pour livrer un produit au moins aussi bon que cet album. Alors que le groupe prépare davantage en amont l'écriture des morceaux, la quinzaine de nouveaux titres envisagés pour le futur album sont conçus pour la plupart directement en studio. Dans les mots de Black Francis :


Il m'arrivait d'écrire des paroles de chansons sur des serviettes en papier juste cinq minutes avant de rentrer dans le studio pour les enregistrer.

Le disque est produit une nouvelle fois par Gil Norton, qui a fait ses preuves sur l'enregistrement de l'album précédent. Joey Santiago précise également que la présence de Norton était une bonne chose pour fédérer le groupe et les entités désormais un poil dissonantes qui le composaient :


Gil est un grand producteur et arrangeur, mais aussi un fin psychologue. Il connaissait la psychologie du groupe comme personne. Il avait l'habitude de dire "Faisons juste un disque, s'il vous plaît".

Et quel disque.


Bossanova sort finalement sur le label 4AD le 13 août 1990.


Le disque marche bien en Europe (8ème des Charts en août 1990, classé peu de temps après disque d'or en France) mais pas du tout aux Etats-Unis (70ème place sur le Billboard 200 pendant seulement une semaine). Si 4AD semble avoir fait un bon travail de promotion pour faire vendre l'album (en témoigne par exemple ce passage du groupe à l'émission The Word sur la BBC juste avant leur passage au festival de Reading l'été 1990), il semblerait que le label ou plutôt le distributeur américain du groupe, Elektra, n'ait pas tout à fait rempli la part de son contrat. Dans les mots de David Lovering :


Ils n'ont pas assuré une promotion correcte. Le directeur artistique, Peter Lubin, avait certes une vision, mais rien à voir avec celle de 4AD. Aux Etats-Unis, nous n'avons pas du tout été compris.

Rock Music


Pour autant, à l'écoute du disque, on se rends compte qu'il s'agit de l'album certainement le plus homogène du groupe, mais certainement aussi celui qui sonne le plus rock, au sens "classique" du terme. Si Joey Santiago le cite souvent comme l'album qu'il préfère parmi tous ses propres travaux, c'est peut-être parce que la guitare est mise en avant sur Bossanova. En outre de l'énorme tube qu'est "Velouria" (le morceau qui a fait basculer mon cœur pour de bon chez les Pixies), on peut compter sur une solide collection de titres qui retrouvent des caractéristiques communes : de l'ouverture en toute pompe avec "Cecilia Ann" (reprise magique des Surftones) jusque la fin du disque sur "Havalina", on remarque assez vite que Black Francis et ses acolytes ont voulu insuffler une dimension surf rock agrémenté de relents Sci-Fi jusque là assez discrets dans leur musique, mais qui s'entendent particulièrement bien ici.


Le mélange fonctionne bien, et des morceaux comme "Rock Music", "Is She Weird" ou "The Happening" permettent de construire l'une des meilleures ambiances globales sur un LP du groupe. Sur la production, on souligne ce mélange étonnant de son de batteries acoustiques et de boîtes à rythmes qui donnent un côté étrange à la musique, en particulier sur les morceaux "Down To The Well" (qui sonne presque comme du Cure période The Top) et "Stormy Weather".


L'apparition d'un Theremin sur "Velouria" et "Is She Weird" renforce d'ailleurs encore plus ce feeling étrange, sans parler des textes de Francis sur les extra terrestres et la Zone 51 (dont le beau père de Kim Deal serait l'un des chefs de la sécurité, paraît-il).


On peut cependant regretter amèrement la brouille entre Black Francis et Kim Deal, et en particulier pour ce disque, puisque les backing vocals de la géniale bassiste sont mixés en retrait et elle ne signe aucun titre sur Bossanova, contrairement aux disques précédents.


Pour autant, parce que l'ensemble fonctionne si bien, Bossanova est devenu mon opus préféré du groupe. Certains lui préféreront Doolittle ou Surfer Rosa, voire Trompe Le Monde, mais pour moi, Bossanova reste le disque le plus intéressant signé Black Francis, Kim Deal, Joey Santiago et David Lovering.


Les citations proviennent de l'ouvrage A Contre Courant : l'épopée du label 4AD rédigé par Martin Aston.


Blank_Frank
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le 2 mars 2023

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Blank_Frank

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