"Stay in your homes / Be off the streets by nightfall"

L'un des mes groupes préférés a toujours été les Stranglers. Parce que leur image de dangereux pervers était irrémédiablement décalée par rapport aux canons du rock, même punk. Parce que leur musique n'hésitait jamais à plonger dans l'excès et la grandiloquence, voire l'avant-gardisme radical sans jamais perdre sa brutalité inouïe. Parce que les Stranglers, quelque part, faisaient peur "pour de vrai", comme lorsque JJ Burnel descendait dans la foule lors d'un concert pour casser lui-même la tête à quelqu'un qui ne lui revenait pas ! Et "Black and White", au milieu d'une discographie exceptionnelle, restera mon album préféré : célébration nauséeuse et glaciale, mais parfois épique, de vies crucifiées et de morts atroces, c'est un disque inclassable et intemporel.


En 1978, la réalisation de la superbe photo "black and white" de la pochette du troisième album des étrangleurs avait fait beaucoup parler d'elle. Comme tout ce qui touchait la vie sordide et agitée de ceux que la presse anglaise adorait haïr, en fait. La posture singulière de Cornwell et Burnel, l'air vagement acablé de Jet Black et Greenfield ? Aucune mise en scène en fait, juste un lendemain de cuite particulièrement sévère en Islande. Mais, peu importe, après les rats et les couronnes mortuaires des pochettes précédentes, un peu "cheap", les Stranglers avaient enfin une pochette digne de leur musique !


"Black and White" est un album qui divisa la critique à sa sortie, et divise sans doute toujours autant les fans aujourd'hui. On y entendait les quatre de Guildford, sans doute satisfaits d'avoir gagné leur crédibilité "punk" avec leur second album, commencer à explorer d'autres formes musicales, frôlant parfois l'avant-garde. La guitare de Cornwell est en retrait, à l'exception du titre d'ouverture, "Tank", asse faiblard et peu caractéristique de l'album. Et ce sont les claviers de Greenfield qui constituent l'essence de "Black and White", un album déjà plus franchement "new wave" qu'autre chose. Ceux qui n'aiment pas "Black and White" déplorent l'absence de grandes mélodies inoubliables, et il n'y a sans doute que les formidables "Nice'n'Sleazy", "Toiler on the Sea" et "Death and Night and Blood" qui resteront comme des hauts faits dans la longue discographie du groupe.


Mais "Black and White" offre bien d'autres compensations : une superbe inventivité sonore et structurelle (la première valse du groupe sur "Outside Tokyo", le rythme en 7/4 de "Curfew"...), des textes ambitieux nourris de références artistiques et littéraires qui passaient à l'époque bien au-dessus de la tête de la majorité des punks (Mishima et Burt Bacharach !), et toujours cette attitude incroyable du groupe, qui a su cette fois abandonner la provocation sexuelle facile des deux premiers albums pour devenir véritablement... dérangeant.


Il faut aussi replacer cet album dans son contexte au sein de l'histoire des Stranglers : avec le succès commercial qui s'annonçait, le groupe commença à littéralement sombrer dans un tourbillon d'excès alcoolique, de scandales, de bastons qui ne le fit guère apprécier de la presse anglaise, toute puissante à l'époque. Les récits des méfaits de Burnel & Cie sur le continent, et en particulier en Scandinavie pourraient remplir un roman tout entier, et même si les musiciens se sont ensuite (plus ou moins) excusés pour leur comportement, une aura de danger les accompagna longtemps.


PS : Cet album ne saurait s'écouter sans y intégrer le formidable "Walk on By", qui était inclus à l'époque de la première édition sous la forme d'un 45 Tours de vinyle blanc glissé dans la pochette.


PPS : Réécouter le texte "post-apo" de "Curfew" fait indiscutablement un effet bizarre en notre époque de Brexit et de pandémie. Les Stranglers visionnaires ?


[Critique écrite en 2021, sauf l'introduction qui date de 2001]

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le 13 oct. 2014

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Eric BBYoda

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