Amnesiac
7.7
Amnesiac

Album de Radiohead (2001)

Le virage électronique pris en l’an 2000 avec Kid A se confirme. Cependant, ce serait réducteur de voir Amnesiac comme un album d’electronica ou même comme un album de rock alternatif teinté d’electronica. C’est en fait une œuvre unique en son genre où les grands courants fondateurs se rencontrent : classique, jazz, rock, electro.


La similarité avec Kid A est flagrante, et ce pour une bonne raison : les morceaux d’Amnesiac sont issus des mêmes sessions d’enregistrement. Le groupe a d'ailleurs hésité à sortir un double album mais a pensé que ça ferait trop dense. Amnesiac est donc la suite et le double de Kid A, avec lequel il forme un diptyque. Des correspondances existent entre les deux albums, dont la plus flagrante est « Morning Bell », morceau présent sur Kid A et présent ici dans une autre version sous le titre « Morning Bell / Amnesiac ». Le morceau d’ouverture « Packt Like Sardines In A Crushd Tin Box » répond à celui de Kid A, « Everything in it Right Place », en annonçant d’emblée la couleur électronique. Le morceau de clôture « Life in a Glass House » répond parallèlement à celui de son prédécesseur, « Motion Picture Soundtrack », en offrant une ouverture stylistique et une certaine respiration. « Pyramid Song », quant à elle, répond à « How to Disappear Completely », autre ballade rock lente et touchant au sublime.


D’aucuns diront alors que Amnesiac n’est qu’une pâle copie de Kid A. Que nenni ! Outre le fait que les morceaux des deux albums se valent globalement en qualité, Radiohead respecte trop ses auditeurs pour oser surfer sur la vague d’un style qui – une fois encore – fonctionne diaboliquement. Le groupe n’a pas sélectionné des morceaux « rejetés » de Kid A, contrairement à ce que de mauvais esprits pourraient penser, mais a conçu les deux œuvres de façon concomitante en recherchant à la fois une cohérence d’ensemble pour chacune d’elle et une complémentarité entre les deux. Thom Yorke expliquera dans une interview la manière dont il perçoit cette complémentarité : “Si Kid A voulait donner l'impression de contempler un incendie dans le lointain, Amnesiac vise à placer l'auditeur au beau milieu des flammes”. En effet, tandis que Kid A était un album de l’ère glaciaire, Amnesiac sonne au contraire un album brûlant et enveloppant.


Certains morceaux résonnent de l'intérieur de leur âme, à commencer par "Pyramid Song", l’un des plus morceaux les plus beaux mais aussi les plus tristes de toute la discographie de Radiohead. Portée par un piano qui joue un rythme décalé aux accents jazzy, sa profondeur tient autant à ce piano qu’à la section de violons composée par Jonny Greenwood, au chant plaintif et lucide de Thom Yorke et à la batterie impitoyable de Phil Selway, qui livre ici l’une de ses prestations les plus mémorables depuis « Exit Music (For a Film) ». Dans un style similaire quoique un peu plus progressif, « You and Whose Army? » est elle aussi magnifique. On y retrouve le piano de « Pyramid Song » mais la tragédie a cédé la place à une forme un peu pataude de désespoir. « Knives Out », dont le jeu de guitares raffiné est inspiré par les Smiths, exhale également une chaleur acérée. Johnny Marr s’est déclaré flatté que Ed O’Brien la joue pour lui avant sa sortie. Tous ces titres font entendre des échos douloureux : ceux de l’incendie ? D’autres plus fébriles comme "Packt Like Sardines in a Crushd Tin Box" et "I Might Be Wrong" évoquent plutôt la fuite. Radiohead parvient à y donner la sensation de l’hermétisme sans être hermétique.


Le quintette a poussé l’expérimentation plus loin que jamais et a travaillé ses sonorités de façon méticuleuse. L’auditeur peut deviner qu’ils se donnent un plaisir mêlé d’exigence dans la recherche d’un certain idéal sonore, comme sur le court instrumental « Hunting Bears » entièrement basé sur un solo de guitare électrique ou sur « Dollars and Cents », influencée par le groupe de krautrock Can, dont les cymbales préfigurent celles encore plus exquises qu’on entendra plus tard sur « Reckoner ». Pour « Life in a Glass House », le groupe s’est carrément offert une collaboration avec le trompettiste Humphrey Lyttelton afin de nous plonger dans l’ambiance du jazz de New Orleans. Radiohead n’hésite également pas à retrafiquer ses propres enregistrements : radicalement électronique, « Pull/Pulk Revolving Doors » est recomposée à partir d’éléments piochés dans les sessions de OK Computer et transformés en boucles fantomatiques. « Like Spinning Plates », quant à elle, émane de l’insatisfaction de Thom Yorke devant une version provisoire de « I Will » qui paraîtra plus tard sur Hail to the Thief : il décide tout simplement de la faire tourner à l’envers pour voir ce que ça donne et de la retravailler à partir de là. Ce morceau hypnotisant pourrait passer pour la définition sonore de ce qu’est l’étrangeté.


Amnesiac est un album qui s’apprivoise petit à petit. Oh non, ce n'est pas l'album le plus évident de Radiohead. Mais qu'il est profond, qu'il est aventureux, qu'il est beau ! Après les géniaux The Bends, OK Computer et Kid A, voilà donc un chef d'oeuvre de plus dans la discographie de Radiohead.

Créée

le 1 janv. 2016

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5

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