Agætis byrjun (prononcer ow-guy-tis bi-r-jun) se traduit par "Un bon début" ou "Un nouveau départ". Ce n'est pas un vœu pieu, tant cette musique, qui évoquerait un Joy Division produit par Arvo Pärt ne connait sur terre aucun intelocteur digne. D'entrée de jeu, c'est bien sûr cette voix qui terrasse, destabilise. Une voix qui psalmodie plus qu'elle ne raconte, dont on se dit qu'elle ne peut être que naturelle, née d'un pacte secret avec quelques elfes au pied d'un geyser. Orgue d'église au psychédélisme ogre, guitares en rafales, rythmique martiale : la dynamique de ces chansons est proprement sidérante, passant en un coup d'archet de la paisible plaine de Snæefellsjökull aux hauteurs volcaniques déchiquetées de Hvannadalshnjúkur. Une capacité à tout emporter rarement croisée ces dernières années ? seuls Radiohead, Buckley, Spiritualized ou My Bloody Valentine ayant su répondre aux appels à la désobéissance de leurs guitares. Dans ces chansons à la prodigieuse capacité d'accueil (les larsens dansent nus sous des pluies de cordes), on se rend vite compte que symphonique est un anagramme de siphonné, que le lyrisme devient, lâché dans la nature hostile d'Islande, une bête sauvage. (Inrocks)
Ce disque a dû être enregistré pendant la longue nuit australe ou, au contraire, dans cette atmosphère trouble du jour éternel, quand à une heure du matin, une lueur sourde donne aux paysages des allures fantomatiques. On imagine mal qu'il en soit autrement, tant ces douces plaintes orchestrées évoquent la déstabilisation des sens trompés par ces étirements interminables des jours et des nuits. Jonsi chante d'une voix androgyne un mélange d'islandais et d'un langage inventé (rassurez-vous, on ne perçoit que vaguement la différence), le groupe vénère les orgues profonds, les violons en longues nappes, les guitares noyées d'écho, les sonorités à la fois carillonnantes et étouffées. D'ailleurs, il aurait été étonnant que Sigur Rós ne joue pas en concert sur fond d'images des paysages sauvages de l'île. Pink Floyd (la bonne période), quelques groupes gothiques, psychédéliques ou post-rock, on pourrait lancer pas mal de références plus ou moins évidentes, qui n'auraient qu'un seul point commun : l'amour des structures étirées et enveloppantes qui cherchent à nous replonger dans le liquide amniotique protecteur dont nous sommes tous issus, quand notre seul job était de nous laisser nourrir, rêver et, pourquoi pas, méditer. Malgré les apparences, Sigur Rós ne sort pas de nulle part. Deux albums sont déjà sortis en Islande depuis 1997 (le second étant un remix du premier, il est vrai), et Ágætis Byrjun est paru l'an dernier sur l'île, où il atteint la première place des charts (les Islandais ne sont pas très nombreux, mais un peu particuliers, ne l'oublions pas). En fait, le disque compile les deux premiers singles distribués en France, et ne leur adjoint que peu de titres complémentaires (le formidable Starálfur). Tous ceux qui ne les possèdent pas déjà pourront succomber à une belle musique crépusculaire, dont les défauts mineurs seraient un zeste de complaisance et un manque de mélodies fortes, à l'exception des très remarquables Starálfur et Hjartad Hamast.(Magic)