1966, Frank Zappa publie le manifeste dada 'Freak Out!' qui disait en substance : ""Freaking out" est un processus par lequel un individu s'émancipe des standards réducteurs et dépassés qui instituent des manière de penser et de s'habiller, afin d'exprimer une relation créative à la fois à son propre environnement local, et à la structure sociale globale."
À l'époque, les critiques se gaussent des flatulences avant-gardistes du moustachu et le condamnent à rester dans son underground puant où, pensent-ils, il ne fera plus de mal à personne. Ils se trompent. Alors que les canons de la pop se pressent de tourner la page, gênés par tant de génial culot, d'autres vont prendre la claque de leur vie en écoutant les élucubrations des Mothers. Il est POSSIBLE de faire une telle musique, d'être Absolutely Free. De passer en un clin d'œil de "rebut de la société" à "être créatif au potentiel illimité". Et pour ça, pas besoin de l'approbation critique, il suffit agripper une guitare et d'en tirer une note.
Peu importe qu'elle sonne ou dissone, c'est ma note, je la conceptualise et vous pouvez tous aller vous faire foutre !

C'est en substance la mentalité de Mayo Thompson lorsqu'il "forme" les Red Crayola, plus tard renommés Red Krayola afin d'éviter tout procès superflu avec la marque de crayons. Signés sur International Artists, le label indépendant qui abrite les fers de lance du tout jeune psychédélisme tels les 13th Floor Elevators, les Red Krayola devront se battre pour parvenir à publier leur propre Freak Out!, leur pétage de plomb à eux ; The Parable of Arable Land. Ils seront d'ailleurs virés avant d'avoir pu publier leur deuxième essai !
Qu'est-ce qu'ils ont de si monstrueux, ces Red Krayolas ? Pourquoi a-t-on dû leur filer 10 dollars pour qu'ils interrompent une de leur représentation à Berkeley ?
Parce que Mayo Thompson et sa bande sont des purs représentants de ce qu'on appellera plus tard le "Do It Yourself". Ils ne savent pas jouer, leur bassiste rivalise de maladresse avec le batteur et la guitare de Thompson est plus qu'approximative (le son primant sur la technique). Leurs morceaux sont une mare d'amateurisme enragé, une voie fédératrice dans laquelle s'engouffreront plus tard leurs fils spirituels de chez Pere Ubu. Ici, les quelques chansons construites sont autant d'oasis acides au milieu de ce que le groupe appelle les "Free-Form Freakouts" et qui sont la principale origine de la terrible réputation de l'album.
Ces phases, comme le titre l'indique, sont des happenings musicaux déstructurés joués par la "Family Ugly", c'est à dire une cinquantaine de potes de Mayo Thompson (Rory Erickson inclus) invités à faire profiter de leur absence totale de dextérité tout au long de l'album. Que ceux qui ont des cuivres soufflent ! Que ceux qui ont des tambours frappent ! Que ceux qui savent gueuler gueulent ! Imaginez le "Return of the Son of the Giant Magnet" de Zappa décliné en cinq ou six plages de délire total. Et si ça sonne mal tant mieux, de toute façon c'est de l'art non ? Les esprits sérieux s'arracheront les cheveux en essayant de déchiffrer le sens de l'album. Les autres, les couillons, ceux qui ont tout compris, s'éclateront à éclabousser leurs tympans de ce bordel sans nom. Les étiqueteurs de l'époque, désemparés, s'empresseront de coller le groupe dans la catégorie Rock Psychédélique... sans doute n'auront ils pris en compte que la pochette.

Vient le temps de noter la chose. The Parable of Arable Land, comme tous les disques émergés d'un esprit libre, comme tous ces rares chefs-d'œuvre qui témoignent d'une simple pulsion de vie en se moquant du qu'en-dira-t-on, est un album qui ne vieillira jamais. Le son date, mais son âme est Intemporelle.

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le 6 nov. 2013

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T. Wazoo

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