Rubycon
7.5
Rubycon

Album de Tangerine Dream (1975)

Edgar Froese, leader historique de Tangerine Dream, grandit à Berlin où il se passionne très tôt pour l'art, sous toutes ses formes. Il apprend le piano dès l'âge de quatre ans, étudie peinture et sculpture aux Beaux-Arts en s'intéressant particulièrement au surréalisme et à Dada. Sa passion pour la musique a le dessus, et le fait auditionner en tant que guitariste, en 1964, pour un petit groupe nommé The Ones. Si ce groupe est resté dans la légende, c'est simplement car ils avaient l'habitude de se produire dans un boite parisienne tenue par Johnny Hallyday. Mais c'est inspiré par le surréalisme, à force de fréquenter Salvador Dali chez qui il organise même des petits concerts privés, et parce qu'il écoute beaucoup les grands maîtres de la musique contemporaines dont, et surtout, Karl-Heinz Stockhausen, qu'Edgar Froese est tout naturellement amené à créer Tangerine Dream, l'œuvre de sa vie, même s'il ne s'en doute pas encore à cet instant. Le nom du projet (signifiant « rêve mandarine ») lui vient à l'écoute de la chanson « Lucy in the sky with diamonds » des Beatles dont la première phrase est : « Picture yourself in a boat on a river with tangerine trees and marmalade skies ». Le groupe se veut donc d'entrée de jeu placé sous l'influence de la drogue et du planant. Froese a tout de suite du nez car il s'entoure de deux musiciens talentueux pour l'écriture du premier album « Electronic Meditations », qui paraît en 1970, Klaus Schulze et Konrad Schnitzler. Un premier album entre musique improvisée et musique expérimentale, assez différent de l'idée que l'on peut avoir du groupe, mais un disque mature, original et dense. Mais l'entente entre les trois membres ne se fait pas, et ils ne réalisent que ce premier album ensemble. Rien d'étonnant, il s'agit de trois leaders, et Schulze comme Schnitzler feront de leur côté de superbes carrières solos. Chris Franke et Peter Baumann rejoignent alors Edgar Froese, et c'est sous cette formation que le groupe signera ses plus beaux albums : « Alpha Centauri » en 1971, « Zeit » en 1972, « Atem » en 1973, puis deux chef-d'œuvres qui marquent le début de leur collaboration avec le label Virgin, « Phaedra » en 1974 et « Rubycon » en 1975. La signature sur Virgin leur amène aussi de monstrueux succès. Le label, qui vient de signer « Tubular Bells » de Mike Olfield sait comment vendre la musique planante. « Phaedra » et « Rubycon » sont deux immenses succès dans le monde entier, dont en France où ils obtiennent chacun un disque d'or – l'émission TV « L'avenir du futur » fait même de « Rubycon » son générique.
De quoi est fait cet étrange album, un des rares disques uniquement instrumentaux à se vendre par millions dans le monde entier, équivalent commercial de Jean-Michel Jarre ou Mike Oldfield ? Composé de deux longs morceaux, un par face, « Rubycon part one » et « part two », c'est un disque de musique planante mais qui n'a rien à voir avec l'étiquette new-age qui leur colle aux basques depuis le début, mais qui n'est pas encore applicable à l'époque de « Rubycon ». Ils sortent d'une période où leurs compositions sont noires, parfois expérimentales, parfois improvisées, et « Rubycon », s'il est un disque d'ouverture vers une certaine forme de lumière, n'est pas pour autant démuni d'une rage sombre et totalement aliénante. Disque évolutif, il part du presque rien – chose pourtant très difficile en musique – pour parvenir à une forme assez étrange de climax qui, tout en étant en tension évite toujours l'explosion, contourne l'apogée, par discrétion, par honnêteté de ne jamais faire dans le démonstratif, de préférer suggérer plutôt que de trop en dire. Offrant des paysages sonores évoquant de grandes steppes désertiques, chaudes ou glacées, c'est selon, la musique de Tangerine Dream fonctionne par nappes synthétiques successives qui se superposent l'une l'autre, par rajout insidieux de petites palpitations rythmiques qui, battant à l'unisson de nos pulsations cardiaques, ont la faculté de sonner comme des déferlantes alors qu'elles ne font qu'accompagner notre respiration. Ecouter « Rubycon », c'est vivre une expérience unique puisque Tangerine Dream parvient avec beaucoup de pertinence à nous plonger dans une introspection qui regarde également sur l'extérieur. En écrivant de la musique personnelle qui s'adresse pourtant à des millions de personnes, Tangerine Dream réussit à toucher du doigt une notion assez rare, celle de l'intime collectif.
FrankyFockers
9
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le 24 avr. 2012

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