No Said Date
6.9
No Said Date

Album de Masta Killa (2004)

Le titre du premier album de Masta Killa est tout un symbole au vu du départ chaotique de sa carrière. Un destin dans la musique dont lui-même n'avait jamais songé. Jusqu'à sa rencontre au début des '90s avec un certain GZA, qui le convainc de le rejoindre lui et ses cousins, et quatre autres galériens de Staten Island, pour un projet fou. Monter un groupe de rap de neuf membres, tous plus dingues les uns que les autres, appelé le Wu-Tang Clan.

Pour le jeune Eglin Turner, qui n'a jamais été MC, l'idée de rejoindre le clan est une issue comme une autre pour échapper aux galères de la rue. L'enthousiasme sera de courte durée et le Brooklynois doit passer par la case prison peu de temps après. Un faux départ qui lui coûtera cher. Il n'apparaît pas sur ''Protect ya neck'' en 1992, le morceau fondateur et genèse du groupe, annonciateur de l'excellent Enter the Wu-Tang (36 Chambers), un an plus tard. Album sur lequel il ne pourra rapper que sur un seul couplet, celui du titre ''Da mistery of chessboxin''. A l'heure où des personnalités fortes comme Method Man ou GZA se dégageaient déjà du groupe, manquer ainsi le coche n'était pas bon signe pour Masta Killa.

Petit à petit, grâce à des featurings remarqués dans les albums solos de ses camarades, le voilà qui reprend du poil de la bête. Au fur et à mesure des disques estampillés Wu, il devient une valeur sûre, un rappeur de choix, et un allié fidèle. Signé sur le label indépendant Nature Sounds, Turner était prêt à faire table rase du passé et à se lancer lui aussi dans une aventure solitaire. Après avoir été repoussé pendant des années, le premier album du rappeur voit enfin le jour le 1er juin 2004.

Arrivé en plein dans la deuxième (voire troisième) tournée des albums solos, ce disque n'avait pas grand chose à perdre. Mieux, sa date de sortie, ajoutée à son statut de premier essai, a permit au clan tout entier, comme aux amateurs, de retrouver une certaine essence du Wu le temps d'un album. Alors que chaque premier opus était une évolution d'Enter the Wu-Tang (36 Chambers), pour ensuite s'extirper petit à petit de son influence, No Said Date revient à quelques fondamentaux.

L'introduction ''Born chamber'' est un dialogue entre un maître et son élève, chargé d'éliminer les précédents devenus fous et dangereux. Soit dans la pure tradition du Wu-Tang Clan et ses extraits de films de kung-fu. Le tout sur un air de ''Za-Zen (Meditation)'' du claviériste jazz Tony Scott. Tout comme le ''Skit'' ou encore dans ''Last Drink'', morceau génial où les cordes grandioses sont bien dosées avec les basses avant qu'une chanson pop façon Beatles sorte de nulle part dans les dernières secondes. Transition inattendue avec le titre suivant, le positif ''Love spell'' et sa ligne de basse généreuse, ses chants d'oiseaux et de R'N'B.

''Masta Killa'' termine l'album sur un air de ''Wang zhao jun'' de la chanteuse Yang Mi, et marque l'influence de la Chine dans son travail, plus que n'importe quel autre album de la nébuleuse. Dommage que le morceau soit seul dans ce cas au sein des seize titres. Il aurait été très intéressant de voir le rappeur se démarquer de ses compères sur l'utilisation de la musique chinoise, en plus d'extraits du cinéma asiatique comme ils le font tous. La présence de producteurs associés au Wu (comme le risque d'un premier album) comme Mathematics, True Master ou RZA lui-même explique peut être cette projection pas aussi poussée vers cette influence. Même si d'une manière générale, le travail derrière les manettes est de bonne qualité et fait de l'album une surprise agréable. Des noms moins connus auraient peut être changé son rendu de ce côté là. Vu que Masta Killa est le dernier membre à plonger dans le grand bain, le voir se différencier au niveau du son pouvait laisser présager sûrement de bonnes choses.

Peu importe, No Said Date s'en sort bien avec des mélodies à la fois puissantes, douces et inspirées. Le flow posé et la voix calme de Masta Killa s'accordent bien avec les titres, permettant de montrer la palette de talents du rappeur. Il ne manque un rien pour que le rappeur impose véritablement son identité. Problème mineur de l'ensemble où certains morceaux vont comme manquer d'âme, et vont se terminer alors que le meilleur semblait à venir. Comme sur ''Grab the mic'', morceau de trois minutes où Masta Killa s'arrête de rapper subitement pour laisser la musique finir en fade out pour le moins curieux. La présence de tous les autres membres du Wu est un grand point fort du disque, permettant de tous les retrouver sur des ambiances comme à leurs débuts. Une réunification le temps d'un album tel un bol d'air frais en ces temps de rumeurs sur la discorde qui régnait à l'époque sur la nébuleuse.

''D.T.D'', avec Raekwon et Ghostface Killah est dans la pure tradition du crew avec cet orgue et ce sample vocal, tandis que Inspectah Deck et GZA imposent leur marque sur la ligne de basse et les cordes classieuses du très bon ''Silverbacks''. RZA propose une prod' à deux temps sur ''School'', et fabrique celle de ''Old man'', qu' Ol' Dirty Bastard finit par réinterpréter à sa manière en criant et scandant les mêmes phrases en boucle. Des ambiances groovys, plus sombres, et folles, pas de doute, les neuf membres sont bel et bien réunis, le tout sur des productions qui tiennent bien la route. Toutefois, Masta Killa semble par moment un peu en retrait face à ses partenaires en pleine forme. Ce qui renforce l'idée que cet album manque un peu d'identité ou d'un peu plus de folie pour vraiment décoller. Même si les morceaux où le MC est seul au micro comptent généralement parmi les meilleurs de l'album. Le titre éponyme est une réussite et défile à toute vitesse, le déjà cité ''Last drink'' est imposant, et le superbe ''Queen'' est la perle de ce disque avec cet instru tout en douceur et cette ambiance planante.

Avec son premier album, Masta Killa a pu corriger le tir et repartir vraiment du bon pied après la bévue arrivée dix ans plus tôt. Même si chacun de ses couplets sur les albums des autres étaient remarqués, il voulait sa revanche avec son premier opus. Les bonnes ventes auprès du public n'ont fait que conforter le bon retour critique, tout en confirmant Turner dans le rôle d'un rappeur solo à part entière. Un succès qui aura mis des années à se forger, mais avec à l'arrivée la satisfaction d'avoir enfin atteint son but. ''No Said Date'', Masta n'était pas dupe, il savait à quoi s'attendre, et pour ça, que la route serait longue. A partir de là, personne d'autre que lui ne peut autant confirmer que rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Stijl
7
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le 29 août 2014

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