Mel
Mel

Album de Maria Bethânia (1979)

24 février de je ne sais plus de qu’elle année... Qu’importe. Et si on arrêtait tout ? On débranche la radio, on éteint la TV. On fait taire tout le monde, et on s’en va pour une virée hors de l’espace et du temps. Pour ça, on va utiliser une lanterne magique, et un album magique. Mel. L’essence de Maria Béthânia. Mel qui commence par un morceau qui glisse dans la gorge comme une essence rare, le bien nommé et éponyme Mel. Il n’y a qu’une prêtresse brésilienne qui puisse oser faire un morceau en hommage au miel, non (?). En même temps, si on écoute bien les paroles, on voit qu’elle s’adresse à quelqu’un. Á une divinité de son Panthéon, à son dieu, à une puissance créatrice amie très familière, Dame Nature tout simplement, peut-être. Mel. Laissons-nous emporter, le reste importe peu. Ça balance doucement comme une caresse qui danse. En tout cas c’est sensuel… la guitare a des accents hawaïens, (curieux), les percussions sont subtiles, la clave est tranquille le chat, et la voix de la dame, douce et dure, rauque quand il le faut, rocailleuse même et j’adore ça. (Le jour où je l’ai entendue pour la première fois j’ai craqué, depuis je suis amoureux). J’adore les voix chantées féminines qui s’aventurent vers le bas registre. Elles possèdent une sensualité terrible, un je-ne –sais-quoi de « psycho érotique »…et me donnent des frissons, dans le creux de mes reins… Ça fait bander les oreilles, ça. Mel. Et tout l’album est comme ça.
Le Tropicalisme mis en variété, acoustique, versatile et chaud, avec la voix, le feu au centre. Une variété de haut calibre, pro, le tout sans effort apparent. Il suffit de voir qui sont les « petites mains » qui se sont mises en quatre pour servir la dame. Chico Buarque, Caetano Veloso, entre autres parmi les plus connus, et les autres des experts de la musique brésilienne, que du beau linge. On a la sensation étrange de changer de monde en écoutant Mel. Un monde fait de rythmes et de ballades faîtes sur mesure par de petites abeilles. Le moindre riff de flûte, un sax caché par là, c’est fou. C’est beau. Tout est parfaitement en place ; et c’est toujours poétique, passionné, coloré. Une amie familière de la culture brésilienne m’avait dit un jour que les textes étaient très poétiques, chargées d’images, pleines de transparences...

Ela e eu. Encore du miel. J’adore les chanteuses qui arrivent à crier sans gueuler, et cette façon de raconter en chantant qui te prend les tripes. Tu n’écoutes même plus les paroles, tu te laisse bercer. Loucura ne fait pas exception. 2 :43 mn ballade entre violons et guitare sèche qui nous font danser pendant qu’elle, la prêtresse nous parle à l’intérieur, et quand elle crie, ça transperce le cœur. Elle parle d’amour je suppose.
Da cor brasileira. Cette saudade recouverte de propolis qui fait que tout n’est jamais triste à pleurer chez elle. Il y a de l’espoir chez Maria.. L’amour toujours l’amour, qui fait du bien et qui fait mal, parfois, souvent. Mais ça passe si bien en chansons. Avec le jeu d’actrice qui va avec. On voit tout, les corps, le décor, les élans, les gestes, on ressent tout, et je vous dis ça alors que mon portugais ne vaut pas un clou de tapis. Mais on n’a pas même besoin de comprendre la langue. La musique est là pour ça.
Un piano-voix : Gota de sangue, la passion ne peut se passer de théâtralité, n’est-ce pas ? Et de sentiment ; pas sentimentalisme, sentiment. il y en a, porté par des harmonies qui survolent, et nous restons babas, sous le charme, c’est parfait. Comme le « tube » Grito de alerta, ballade généreuse en sonorités, en timbres, pleine de « voix », avec un vrai orchestre (à l’ancienne) qui pose les lignes, superposent des mélodies. Un superbe mouvement de basse d’ailleurs. Et les arrangements, c’est comme du nectar mis en boîte avec amour ; à savourer, déguster, j’en passe… miam ! D’habitude les violons ça m’ennuie dans la musique pop, ça fait tapisserie, mais là il faut reconnaître que c’est assez savant comme arrangement. Chapeau ! Et ce morceau me fait bizarrement penser à Charles Aznavour (?) le refrain surtout. Que fait ce vieux Charles dans mon disque de Maria Bethânia ? Mel est sorti en 1979. Il aurait pu faire une reprise de ce morceau Charles, avec ce qu’il exige de puissance et de dynamisme pour tenir face aux violons. Grito de alerta. Sur le refrain j’entends Aznavour c’est sûr, mais avec un truc que le grand Charles n’a pas, la sensualité. Désolé, Charles.
Ah. Encore du miel. Labíos de mel. Le cha cha cha made in Brasil peut-être ? Là, elle parle d’un homme, obligé. Elle dit : « Meu amor quando me beija… » Ho ! J’ai dit que mon portugais était nul, mais pas à ce point là quand même ; là elle parle de son homme, c’est sûr… cet éternel l’amour. Puis c’est le retour à la formule magique. Guitare, basse, piano, percussion. C’est beaucoup plus musique de variété latine avec un feeling brésilien, que Bossa pur jus. Le Brésil c’est beaucoup plus que la Bossa, ou la samba qu’on se le dise. C’est beau. Armando Sobre Os Jornais. Se sont les tempi medium qui conviennent le mieux à son timbre de voix, (avis tout à fait subjectif). Tu profites alors de la chaleur de sa voix rêche comme de la toile émeri et, c’est trop court !
Les arrangements avec cuivres et violons, des instruments à vent qui nous envoient des caresses, des oiseaux de paradis qui brillent de mille couleurs vives. C’est comme des touches de pinceau sur un tableau qui se mélangent, les couleurs disposées savamment, et ça change tout le temps, c’est plein de variations, c’est très cool, vraiment ! De la musique savante sans en avoir l’air, mais je ne suis pas dupe même pas une minute, il y a du savoir-faire, de la science en-dessous. Et c’est tout le temps comme ça, mais chaque fois c’est une dominante différente, un compositeur différent, un sentiment différent, et à chaque couplet qui finit sur un crescendo, j’adore quand elle fait ça ! Beaucoup de choses exprimés sans arriver à épuiser la source, comme si elle savait doser soupeser, éviter mélancolie, la mélancolie c’est vide, la passion c’est mieux. Mêlé à une mélancolie éteinte par sa rage de vivre, par le rythme, qui invite à danser, à fond de cette chose qui nous lie, nous épare, nous tord, cette fameuse chose qu’on appelle Amour, sa chose.
Nenhum verão. Un piano voix qui ressemble à une marche, pas funèbre mais funeste. Au Brésil on ne dit pas blues, mais saudade. Une saudade savante, on dirait de la musique avec le métier et les harmonies du classique mais essorée et mise à nue, donc pop ; et le pianiste en profite pour s’exprimer. Vocal contre piano droit. Retour à l’essentiel, sans béquilles, sans fards, l’émotion brut de chez brut. Qui a eut le dernier mot ? Piano et matrice vocale. Un couple se forme, se lie le temps de la chose, et l’histoire ne va durer que le temps de la chanson. Ça se termine doucement sur quelques arpèges. On aimerait tant que ça dure plus cet amour, mais... non.
Infinito desejo. Tiens, une samba, qui nous fait bouger les reins comme sait si bien le faire toute samba. C’est magique ! S’invite même quelques tambours et percussions qui marquent bien leur territoire. Ballade qui sent bon la réconciliation pour amoureux qui ont envie de se réconcilier un soir de Carnaval. Elle balance bien cette samba. Ça marche à tous les coups. Queda d’água. Équilibre parfait. Chaque morceau, aussi différent soit-il se fond et se confond dans l’ensemble. Tellement qu’on a l’impression d’un même morceau qui évolue. Tous ces morceaux collés les uns après les autres, presque sans transition. Un chant d’amour puis une danse, et ainsi de suite, ça doit être fait exprès ça. L’album devient un objet de contemplation, se transforme en amas de sucre roux, en pain de sucre avec des cristaux puis en pierre, roche, diamant pas de crapauds ; et à nouveau en miel. C’est pour ça que le final si sobre, si simple ne me surprend même pas. C’est très beau comme ça. Queda d’água. Le calme après la danse, les corps se détachent enfin. Quoi de plus normal au Brésil que de finir sur une guitare plaintive qui nous susurre comme un petit prélude à l’oreille, et une prêtresse qui nous murmure, voix parlée puis chantée, pensée, jetée, courte mais intense.
« La musique est le vrai langage universel » disait Dee Dee Bridgewater. 1 :07. Queda d’água. Épilogue plus que morceau. Superbe conclusion. Album qui promet beaucoup, et ne déçoit pas du début à la fin. La preuve, à chaque fois le réflexe est de remettre le disque pour réécouter en boucle une fois que c’est finit. Et à chaque fois il y a des surprises. Hé ! Le saxophone sur Cheiro de amor (!) Comment j’ai fait pour ne pas le voir ? En même temps il est tellement beau ce morceau qu’on ne fait attention à tout. Il arrive par surprise entre ce synthé sagement assis, et les volutes de l’orchestre qui partent en fumée…Wow. On l’apprécie ce morceau, on ne réfléchit pas, on ne pense plus.
32 minutes de pur bonheur. Il y a des albums que je peux mettre en boucle 2, 3, 4 fois voire plus, et je ne m’en lasse pas, bien au contraire. Et dans ces moments là, je me dis que c’est presque indécent une qualité pareille. Dans ces cas là seulement, je mets un grand 10 et je réécoute l’album.

Angie_Eklespri
10
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le 29 juin 2021

Critique lue 35 fois

Angie_Eklespri

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