Le jugement de Dylan Baldi n'aura pas lieu.

Cloud Nothings n'a jamais été autre chose pour moi que le groupe d'une déception. Un groupe qui aurait pu faire tellement plus avec les moyens en sa possession mais qui a toujours gâché son potentiel dans des décisions artistiques incompréhensibles. Tout prend source sur uniquement deux morceaux. Deux instantanés traumatisants qui ouvraient l'album qui les fit connaître, Attack on Memory en 2012. "No Future / No Past" qui nous balançait du Slint comme on en fait plus, du post-hardcore dépouillé, empli d'une urgence sourde, la promesse d'une menace prête à exploser. Puis "Wasted Days" qui frappait encore plus fort en transformant une excellente punk-song power-pop en une jam à la limite du stoner, faisant monter la sauce pendant 8 minutes démoniaques et un final qui aura fait chialer tous ceux qui ne croyaient plus au pouvoir de l'emo.


Mais après cela plus rien. Dylan Baldi et sa bande n'auront plus jamais été touchés par la grâce, à l'image de l'irritant refrain de "Fall In", beaucoup trop inoffensif pour convaincre après les deux monstres précédents. Après cela l'album s'oriente vers le type de rock typique qu'on retrouve dans les séries US pour ado, du college-rock californien sans plus d'intérêt, style dans lequel Dylan Baldi n'est plus rien d'autre qu'une tête à claque vaguement sympathique. Here and Nowhere Else était presque une tentative de rédemption, un disque bien plus équilibré dans son tracklisting que le précédent, un son plus crade qui gomme une partie des tendances catchy de Baldi... un bon disque finalement, mais aucun signe des tueries tant regrettées. Lorsque 3 ans après Cloud Nothings s'apprête à sortir son nouveau bébé et que les premiers servis en rapportent un son d'une platitude absolue, un groupe devenu tout doux, de vrais militants du FM... j'étais prêt à écorcher vif ce qui restait du groupe et l'enterrer pour de bon pour passer à autre chose. Sauf que voilà, dans la vie les choses ne se passent jamais comme prévu.


La sortie du single "Modern Act" en aura horrifié plus d'un. Alors comme ça Cloud Nothings jette la disto à la poubelles pour adopter un nouveau son épuré ? Léché, même ? Trahison, disgrâce, ils étaient déjà pas loin avec "Fall In" mais là ça y est Baldi a définitivement mis le pied dans le FM, le radio-friendly. Manque de bol, le single s'est avéré représentatif du reste de l'album (à l'exception des deux dernières, on y reviendra) : la voix de l'ami Dylan n'a jamais été aussi présente dans le mix, et aussi soignée – on la croirait même retouchée par moment, c'est sans doute le cas (on est quand même loin de l'autotune je vous rassure), c'est à peine si les guitares s'énervent une ou deux fois, préférant nous caresser dans le sens du poil, quant à la batterie disons qu'il est loin le temps où Steve Albini était aux manettes (ndt : en train de jouer au Scrabble derrière la console). L'heure serait-elle venue de condamner Dylan Baldi à répondre de ses crimes par l'immolation ? Je serais tenté de dire oui, ça lui pendait au nez de toute manière, mais on lui fera au moins l'honneur d'une enquête rigoureuse avant de le juger. Faisons abstraction, l'espace de trois quarts d'heure, de toute question de production. Que constate-t-on ? Ben merde, les compositions sont excellentes.


Que le grand cric me croque, Life Without Sound pourrait bien être l'album le mieux foutu d'entre tous. Ici, dans ce qui est probablement le plus lent et le plus léger des albums de Cloud Nothings, les morceaux respirent tous le travail méticuleux dans l'agencement des mélodies, véhiculent un effort de rigueur dans la simplicité. Et tout ce travail, justement, est précisément rendu perceptible... par le son. Par cette production, justement, que d'aucuns mettront au bûcher pour être trop léchée (car chez les sectaire du rock indé les automatismes ont la vie dure et les allergies se soignent difficilement), Baldi rend audible la précision de son travail et donne à ses compositions l'espace de se développer et de s'envoler librement. Une bonne partie des morceaux de Life Without Sound ne se contentent pas simplement d'un couplet-refrain et tentent d'intégrer des ponts voire des mouvements entiers dans leurs pop songs. Et si, plutôt que d'être la preuve accablante d'un pacte avec le diable, ce nouveau son était le témoin que Cloud Nothings a enfin trouvé le son dans lequel il s'exprime avec la plus grande cohérence ?


Bien sûr, Life Without Sound n'est pas sans défauts ; il lui arrive d'être franchement trop propre pour être honnête, sa mixture peut paraître trop travaillée, victime de ses excès, et certaines mélodies trop "mignonnes" font occasionnellement tâche dans un tableau qui demeure majoritairement porté par des "grosses" guitares. L'album se présente finalement comme un Attack on Memory inversé, avec ses 7 chansons pop mélodiques remplies de refrains catchy, qui s'achèvent sur un cataclysme progressif, ici incarné par "Strange Year" et "Realize My Fate" qui voient Baldi renouer une dernière fois avec le post-hardcore de "No Future / No Past". Sauf que ces morceaux sont positionnés ici en conclusion, comme un " rappel " pour faire plaisir aux fans d'Attack on Memory. Et en plus de me ravir, ça confère à Life Without Sound un bien meilleur équilibre que ce dernier. Finir aussi fort, c'est l'assurance de donner à l'auditeur l'envie de relancer le disque. C'est désormais définitif, à mes oreilles ce petit nouveau est le meilleur album du groupe jusqu'ici, car le plus équilibré et celui qui gère le mieux sa tracklist de bout en bout. Le jugement de Dylan Baldi n'aura pas lieu : le procureur est en déroute, l'accusation débouche sur un non-lieu.


Life Without Sound, c'est l'album d'un deuil qui s'achève enfin pour laisser vivre sa suite. L'acceptation que ces deux fameux morceaux n'étaient que d'heureux accidents, dont Cloud Nothings a réussi à s'émanciper pour construire autre chose. Et quel veinard je suis, cette autre chose me plait.


Chronique provenant de XSilence

TWazoo
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le 19 janv. 2017

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T. Wazoo

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