Hilja
6.8
Hilja

Album de Cucina Povera (2018)

Où les mantras s'épellent nus

Vous est-il déjà arrivé de vous retrouver tout seul dans une pièce et de vous surprendre à chantonner des petites mélodies inventées, courtes et répétitives, juste pour voir comme ça résonnait dans l'espace alentour, et vous amuser du résultat ? Si oui, vous n'aurez pas grand mal à compatir à la démarche de Cucina Povera. Mais qui est donc cette italienne qui chatouille si curieusement mes écoutilles ? me demanderez-vous. Il s'agit de Maria Rossi, qui est en réalité une Finlandaise émigrée à Glasgow. Son patronyme, elle l'empreinte à cette cuisine italienne, cette "cuisine pauvre" qui à partir de trois fois rien improvise en temps de crise des recettes capables de nourrir des familles sans le sou (doit-on rappeler l'histoire de la naissance de la pizza ?). Une philosophie dont elle tire une démarche de composition musicale. Hilja, si vous voulez, c'est un peu comme une grande pizza très rudimentaire, avec des ingrédients bon marché disposés de manière très éparse ; quelques échos de synthés saupoudrés ici et là, par ici des field-recordings minimaux faits maison (aquatiques ou percussifs, parfois deux en un) et découpés en de fines lamelles, et par là un beat de club timide qui ne reste pas bien longtemps. Le tout uni dans une pâte fine : la voix râpeuse et joueuse de Maria... Excusez-moi, pourtant je le sais bien qu'il ne faut jamais commencer la rédaction d'une chronique avec le ventre vide.


Aborder Hilja, c'est redécouvrir les vertus du dénuement. Se remettre à réfléchir au moindre son que l'on couche sur bandes, à repenser le sonore comme un territoire non-acquis, soumis à la régence du silence, qu'il appartient à l'artiste de se réapproprier patiemment. Maria Rossi entreprend cette démarche à tâtons, phrase par phrase. Mais chaque motif posé fait date, s'installe, se répète, d'autres se superposent calmement, et dans l'acoustique riche en réverbérations de son studio cela résonne si bien qu'on se croirait dans une menue chapelle à écouter une interprétation extraterrestre de chants grégoriens ou de psalmodies traditionnelles celtiques. Ainsi se construisent d'envoûtants mantras, dont l'hypnose est renforcée par les rares éléments "instrumentaux" rajoutés. Sur les 8 morceaux qui composent Hilja, Maria dispose ses accompagnements avec parcimonie, en clivant les timbres : 3 morceaux "minimal synth" où des touches synthétiques viennent sobrement faire contrepoint aux incantations solitaires de la voix ; 3 morceaux "field recordings/musique concrète" où la soundwriter (si le mot existe pas, je brevète) utilise des samples - généralement aquatiques - comme éléments rythmiques ou pour sculpter l'atmosphère de la pièce ; et deux morceaux a capella (car après tout, la musique de Maria se centre tellement autour de l'utilisation de sa voix dans des environnements minimaux que pourquoi pas).


Par sa forme, cet album est dans une espèce de carrefour étrange entre musique savante, pop ambiante, voire musique traditionnelle européenne, sans véritablement appartenir à aucune des trois. Hilja intrigue, voire déstabilise, on peut être tenté de s'y ennuyer si les mantras ne fonctionnent pas. Fort heureusement, je suis happé dès les premières secondes austères (mais déchirantes en loucedé) de "Demetra", et je suis d'autant plus épaté qu'il s'agit du premier album de la dame. J'attendrai avec impatience la suite, qu'elle se dirige vers plus de silence, plus de son ou qu'elle reste droite dans ses bottes.


Chronique provenant de XSilence

TWazoo
8
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le 27 mars 2018

Critique lue 134 fois

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T. Wazoo

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