El Greco
7.6
El Greco

Album de Vangelis (1998)

Après une série d'albums soit très électroniques (Direct, The City, Oceanic) soit très lyriques (1492, Voices), El Greco jette un pavé inattendu dans la mare musicale de Vangelis en convoquant un registre épuré et une tonalité globale extrêmement austère, à l'image de la pochette du disque.


Le ton est donné dès les premières mesures : des cloches graves martèlent un rythme très lent, d'où surgissent une basse sombre sur deux notes et une mélodie soliste dispersée en volutes élégantes sur un accompagnement discret. Plus tard viennent les cordes et d'autres instruments d'orchestre (vents et cuivres en retrait), qui annoncent la volonté du compositeur d'entraîner son auditeur dans un disque résolument néo-classique, tout en conservant son inimitable aura synthétique.


Pour souligner encore cet aspect, l'album est divisé en dix mouvements qui s'enchaînent - le dernier, intitulé "Epilogue", étant un peu à part puisque c'est le seul où apparaît en mélodiste solo le piano cher à Vangelis. Comme un symbole, son instrument fétiche ne se fait entendre auparavant qu'à mi-chemin, dans le Mouvement IV en accompagnement de Montserrat Caballe, et dans le Mouvement V, au fil d'arpèges rapides et de quelques fioritures mêlées au reste de l'orchestration.


Pour le reste, le musicien, à la manière du peintre dont il fait l'éloge musical, a choisi une palette restreinte, dominée par des cordes solennelles auxquelles répondent soit des instruments plus pointus (harpe, clavecin), soit des sons rêveurs et arrondis de vents (flûte, clarinette, hautbois), soit encore des chœurs majestueux.
Si l'on rajoute à cette formation resserrée l'absence de "grand thème" immédiatement mémorisable "à la Vangelis", on découvre lors des premières écoutes un disque clos sur lui-même, beaucoup plus difficile d'accès que d'habitude, d'une extrême cohérence stylistique et d'une grande rigueur.


De quoi en rebuter plus d'un, mais ce serait dommage, car El Greco démontre l'étendue du talent de Vangelis, sa capacité à investir tous les genres et à penser sa musique avec une puissance cérébrale qui n'exclut jamais l'empathie et l'émotion, dont il recherche toujours l'expression la plus pure et la plus immédiate. Et c'est le cas aussi dans cet album, même si cela saute moins aux oreilles de prime abord.


Du reste, l'austérité globale d'El Greco se rehausse de moments plus lyriques qui le rapprochent de ce qu'on connaît de lui. Le Mouvement IV par exemple, porté par la voix ample et chaude de l'immense Montserrat Caballe, cueille au cœur par la tendresse mélancolique qui s'y déploie avec élégance.
Et dans le reste du disque, Vangelis se plaît à faire surgir des arabesques lyriques et émouvantes des ténèbres qui servent d'habillage à l'ensemble. L'écriture, de manière générale, est très élaborée, jamais enfermée dans la logique pop des mélodies répétées ad nauseam pour pénétrer en profondeur l'inconscient de l'auditeur.


Il faut ici faire l'effort de s'immerger dans la musique, de l'accueillir avec patience et respect, et ce n'est qu'à ce prix qu'on appréciera à sa juste (et très haute) valeur la grâce musicale déployée par Vangelis dans cet album exigeant, mais essentiel dans sa discographie.

Créée

le 4 juin 2021

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ElliottSyndrome

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